Persévérance

Chapitre 24 {Ivy} Prune

« Accepte ce qui est, laisse aller ce qui était et aie confiance en ce qui sera. »

Bouddha

P.O.V Ivy's

Il fallait que je me mette un bon coup de pied au cul pour donner rendez-vous à Prune et c'est ce que j'ai fait. Voilà pourquoi je suis actuellement assise à une table, toute seule comme une conne, dans un coffee shop, en train de regarder l'heure sur mon téléphone, toutes les trente secondes. Est-ce que j'angoisse ? Plus que jamais.

Faire ça dans un endroit public, je ne suis pas certaine que c'était une bonne idée en fait. Je transpire tellement par tous les pores de ma peau et ça n'a rien à voir avec la chaleur étouffante qui se dégage dans l'air. Je suis morte de trouille. Pour quelle raison, je l'ignore. J'ai juste peur et m'imagine des scénarios impossibles et irréels mais j'ai une très grande imagination pour me faire des films, moins quand il s'agit de voir ce que j'ai sous le nez.

Je fais notamment référence à Kay. Je n'en reviens toujours pas d'avoir été si aveugle pour ne pas comprendre que si nous avions un lien si spécial, c'est parce que nous savions tous les deux, ce que ça fait d'être différent, de vivre avec un handicap physique. Je m'en veux d'autant plus de ma réaction mais je ne m'y attendais vraiment pas que ma bouche s'est dissociée du reste de ma tête.

Évidemment que je n'ai pas honte, pitié ou quoi que ce soit envers lui. Bien sûr que j'éprouve une certaine tristesse quand je pense à ce qu'il a dû endurer à cause d'une maladie et à quel point ça a dû être difficile de vivre avec un membre en moins, autant que de se faire à cette prothèse mais je n'éprouve pas de pitié, de honte ou de dégoût car malgré tout ça, Kay reste mon ami. Peu importe s'il lui manque une jambe ou autre chose, il reste celui qui a su me faire rire dès mon retour à Londres, celui qui m'a redonné l'envie de me battre et qui a passé tant de temps à mes côtés, à me faire sentir bien.

Je sais mieux que quiconque ce que ça fait de vivre avec le poids du jugement dans le regard des gens, sur nous alors je n'infligerais ça à personne. Nous sommes déjà des juges bien trop sévères envers nous-même. Est-ce que ça change des choses entre nous ? J'aimerais bien dire que non mais la vérité c'est que oui. Depuis une semaine que je sais, Kay est à nouveau un peu distant, renfermé sur lui-même. On continue de se voir, de se faire des soirées tous les deux, d'échanger des SMS à longueur de temps mais quelque chose s'est brisé.

Peut-être le retour à la dure réalité.

Peut-être m'en veut-il encore de ma réaction alors qu'il prétend que non mais je sais bien qu'il a eu mal. Je l'ai vu dans son regard, je l'ai senti. Moi aussi à sa place, j'en aurais souffert s'il avait réagi comme ça en découvrant mon fauteuil mais contrairement à moi, il a toujours su se montrer indifférent à tout ça, comme si ça n'existait pas.

Du mouvement à côté de moi, me fait sortir de mes songes devenus bien tristes. Je relève la tête pour tomber nez à nez avec une poussette dans laquelle s'agite un petit bonhomme dans un petit short en coton bleu et un t-shirt blanc.

Mon cœur fait un saut dans le vide, marque un tas d'arrêts avant de retrouver un battement lorsque mes yeux croisent les siens. Ce regard que j'ai vu tant de fois sur les photos, que j'ai vu tant de fois en vrai lors de nos discussions et passant par tellement d'émotions différentes. Ce n'est pas qu'une question de ressemblance physique, ses deux émeraudes vertes sont aussi habitées par quelque chose de bien plus puissant, son souvenir.

Ça n'a rien à voir avec les photos que j'ai pu voir, maintenant qu'il se trouve en face de moi, je ressens des choses que je n'ai pas ressenti sur ces clichés. Parce qu'il est réel, en chair et en os devant moi. Ce petit bout de chou qui est la moitié de mon frère et conçu par amour. Mes émotions me submergent, mes yeux laissent des larmes s'en échapper sans que je n'ai aucun contrôle sur eux, mes mains se mettent à trembler alors que je les porte à ma bouche.