Chapitre 34

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Toutes les tombes se ressemblent, les noms se confondent sur ces pierres froides. Sur son emplacement des fleurs fraiches qui ornent son prénom.

Maxime Vanden

Epoux et fils bien aimé

- Tu ne veux pas d'épitaphe ? demande son père étrangement calme.

Je regarde par la fenêtre, une voiture passe sur la route. Ils parlent tous les deux des funérailles comme si c'était la chose la plus banale du monde et nous laissent Françoise et moi, impuissantes, jouer les simples spectatrices. Aucune option ne semble la bonne à nos yeux, préférant repousser ces cruels préparatifs jusqu'au dernier moment.

- Non je n'en veux pas, j'ai dit tout ce que j'avais à dire et je n'ai pas besoin que d'autres personnes que vous ne se souviennent de moi.

Le thé que nous a préparé Françoise s'est lentement refroidi entre nos mains sans avoir été touché une seule fois. Le peu de chaleur qu'il nous a apporté est désormais totalement dissout. Je pense à la sortie que nous avons faite hier, à notre pique-nique dans le parc et à la manière dont il s'est écourté suite à la fatigue de Maxime. Hier il a eu peur, peur de partir sans n'avoir rien préparé, peur de nous laisser tout ça sur les bras quand il ne sera plus là.

Donc nous nous sommes rassemblés tous les quatre, autour de la cuisine, pour envisager toutes les possibilités. Des larmes silencieuses ont coulé sur mes joues lorsqu'il a affirmé ne pas vouloir être réanimé. Je pleure à chaque fois que sa mort prochaine se confirme, à chaque fois qu'il tombe de sommeil en pleine après-midi, à chaque fois qu'il s'essouffle en marchant. Je pleure quand il ne me voit pas. Tout ça me ronge de l'intérieur et m'aspire chaque jour un peu plus dans les ténèbres.

Françoise semble vouloir prendre la parole puis se ravise mais Maxime le remarque et l'encourage à parler.

- Je sais que ça peut paraître un peu simple, mais... pour témoigner de tout l'amour que nous te portons, on pourrait écrire « époux et fils bien aimé », propose-t-elle tout doucement.

Ses yeux brillants trahissent son trouble. Maxime se lève de sa chaise et, péniblement, il se dirige vers sa mère pour l'enlacer. Il acquiesce à sa proposition.

En revenant dans le temps présent je reste sans voix devant l'emplacement de sa tombe, incapable d'émettre un seul son. Je fixe la pierre, l'inscription, sans rien voir de tout cela. Je n'ai toujours pas envie d'y croire.

Je ne veux pas me résoudre à parler à voix haute, puisqu'il n'entendra rien. Cette tombe ce n'est pas lui, ce n'est pas le Maxime que j'ai connu. Il n'existe plus, même mes souvenirs de lui ne sont pas clairs.

Je fixe le ciel, à défaut de pouvoir poser mes yeux plus bas. Il est paré des mille couleurs de l'océan. Un océan en perpétuel mouvement comme si une onde le traversait de part en part à l'infini. Je contemple ce ciel et j'en vois un autre qui se superpose.

Un soleil radieux, une pelouse verte, sous un arbre en fleurs, lui a demi-allongé et moi blottie contre lui.

- Tu veux faire quoi plus tard ? Comme métier je veux dire.

- Moi ? répond-t-il surpris.

- A qui veux-tu que je parle Maxime ? le questionnai-je malicieusement.

Il rit quelques instants puis se tait. Il y a un long silence, comme s'il hésitait, il lance un soupir et répond enfin à ma question.

- Tu ne te moque pas hein ? demande-t-il doucement.

- Pourquoi je me moquerai de toi mon cœur ? lui dis-je en le regardant dans les yeux.

Il passe délicatement sa main dans ses cheveux tout en regardant le ciel.

- Ça fait plusieurs années que j'y pense mais je n'étais pas sûr de mon choix... Mais maintenant je sais que c'est cette voie que je veux prendre. Je veux être professeur en maternelle.

Il me regarde, tête baissée, comme s'il avait choisi le plus abominable des métiers, attendant une réponse de ma part. Sans réfléchir une seconde je l'embrasse et il me rend mon baiser.

- Tu es trop mignon ! le taquinai-je avec un sourire angélique.

Il me regarde d'un air mécontent en grimaçant.

- Quoi, qu'est-ce que j'ai dit ? demandé-je en rigolant.

Il me fait basculer sur le dos, un sourire ravageur au coin des lèvres.

- Tu as dit que j'étais « mignon » ! Il ne faut jamais dire à un garçon qu'il est mignon ! ajoute-t-il en prononçant la dernière phrase au creux de mon oreille en insistant sur le mot « jamais ».

- D'accord, règle n°1 : ne jamais dire à un garçon qu'il est mignon. Si jamais cette règle venait à être transgressée, que se passerait-il ?

- Je serai contraint de faire ceci.

Ses lèvres descendent dans mon cou, traçant une ligne de baiser brûlant le long de ma gorge.

- C'est...tu es... mignon.

Il y a tant de choses que j'aimerais lui demander, tant de questions dont j'ignore la réponse. J'aimerais qu'il m'apporte la solution à mes problèmes, qu'il me prenne dans ses bras encore une dernière fois. Je voudrais tant lui dire une dernière fois que je l'aime, que je l'aime plus que ma propre vie.

Pourquoi je n'étais pas à ses côtés quand il est mort ? Pourquoi est-il parti sans moi ? Pourquoi lui ? Est-ce que c'est mal de souhaiter de ne jamais l'avoir connu ? Ou mieux, de ne jamais m'être souvenue de lui ? Parce que c'est si douloureux de penser à tout ce que nous avons vécu ensemble que j'aurais préféré qu'il n'existe pas.

J'éclate en sanglot, je m'en veux de penser quelque chose d'aussi idiot. Je lui en veux de m'avoir abandonné, j'en veux aux médecins qui ne l'ont pas soigné, j'en veux à ma mémoire d'avoir déraillé, à la voiture qui ne m'a pas achevé, j'en veux au monde entier.


Mon trou de mémoireWhere stories live. Discover now