Chapitre 47

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Le samedi, j'échafaude un plan d'une puérilité risible, consistant à ne pas me trouver dans les parages lorsqu'Andrew viendra dîner. Ainsi dès le matin, je pars me promener avec Poilu et les jumelles. Ces dernières m'informent qu'Andrew ne doit arriver qu'à partir de 18 heures ce soir. Je peux donc passer mon après-midi chez mon père et sortir quelque part avant son arrivée.

- Où vas-tu ? demande mon père alors que je m'apprête à quitter la demeure.

- Jeter la poubelle, dis-je avec le plus d'innocence possible en montrant le sac.

Il respire un bon coup avant de s'approcher de moi, le regard désolé.

- Tu reviens après n'est-ce pas ? Parce que Andrew m'a parlé de ta tendance à fuir quand les choses deviennent compliquées.

- Je ne vais pas m'enfuir, soufflé-je en mentant.

- Cathy, il faut que tu te réconcilies avec Andrew, vous avez autant de choses à vous faire pardonner l'un à l'autre !

- C'est lui qui m'a menti ! hurlé-je soudainement.

- A mes yeux, Andrew est moins coupable que toi, fait-il accablé.

- Je n'ai rien fait de mal, dis-je pour ma défense.

- Tu n'as rien fait de mal ? répète-t-il ébahi. Tu as voulu mettre fin à tes jours !

- Non, fais-je avec horreur, tu ne peux pas prendre ça en compte.

Des larmes dévalent automatiquement mes joues. Pourquoi a-t-il fallu qu'il mentionne ce fait ? Maxime, mon monde, est parti d'un seul coup. Maxime était mon tout. Comment voulait-il que je réagisse ? Continuer de sourire comme si la source de mon existence ne venait pas de disparaître ?

- Tu ne peux pas l'évoquer !

Son image se glisse dans la pièce, ce qui n'était pas arrivé depuis des mois. Je vois son visage me sourire comme s'il était en vie puis je le vois mort dans sa chambre d'hôpital. Je ferme les yeux pour arrêter ces visions d'horreur qui se glissent dans mon esprit.

Je recule en direction de la sortie et je pars en courant, dévalant les escaliers de l'immeuble quatre à quatre.

- Tu as oublié la poubelle ! crie mon père.

Je manque de tomber sur la dernière marche et mes larmes m'empêchent de voir clairement le chemin que j'emprunte. Mais je continue mon avancée, en boitant pour limiter mes appuis sur la jambe gauche. Je ne sais même pas où je vais aller, sans doute le plus loin possible de Maxime. Un endroit où il ne pourra pas revenir me hanter. Juste un endroit assez loin pour oublier encore une fois qu'il a un jour existé.

- Cathy ! hurle une voix où se mêlent peur et sidération.

Non loin de moi, juste en face de la route sur laquelle je me tiens, se trouve Andrew. Il n'y a personne d'autre autour, la rue est étrangement déserte. S'il y avait eu une voiture en ce moment même, il y a de grande chance pour que tout ait recommencé. J'aurai été une nouvelle fois renversée, cette fois-ci peut-être que je n'aurai pas survécu.

En quelques enjambées, il me rejoint et me force à retourner sur le trottoir. Il est irrité, en colère, loin de vouloir faire la paix avec moi comme lors de mon départ. J'essuie les larmes qui ont inondé mes joues.

- Je n'arrive pas à le croire ! crache-t-il, après tout ce qu'on a fait, tu choisis encore cette voie-là ?

Je mets quelques secondes à comprendre ce à quoi il fait allusion.

- Non, ce n'est pas ça, m'empressé-je d'expliquer en voyant la déception traverser son visage, je voulais partir de la maison, pas partir... partir.

- Ah bon ? s'interroge-t-il en gardant ce ton hargneux, parce que ça ressemblait fortement à ce qui s'est passé ce jour-là.

- Ce n'est pas pareil, je te le jure.

- Tu n'arrêtes pas de t'enfuir, tout le temps, depuis toute petite, poursuit-il en étant à moitié en colère et à moitié attristé. Mais je n'en peux plus, je veux que tu t'appuie sur moi, je veux compter pour toi.

- Tu comptes, tu comptes énormément, le contredis-je.

- Alors s'il te plait, je t'en supplie, arrête de me fuir ! annonce-t-il.

Cette fois-ci, il ne montre plus aucune colère. Il fait un geste vers moi, me demandant silencieusement l'autorisation de me prendre dans ses bras. J'accepte, tout naturellement, comme s'il en avait toujours été ainsi entre nous.

- J'imagine que tu te souviens que..., fait-il tristement, j'étais avec toi.

Des larmes coulent le long de mes joues. Bien sûr que je m'en souviens. Le souvenir afflue en moi comme si j'avais toujours refusé de le voir, tout en sachant qu'il était bien réel. La semaine suivant la mort de Maxime, mis à part l'enterrement, je suis restée cloitrée à la maison de Françoise. Je ne mangeais ni ne buvais rien. Je ne réagissais à rien. Andrew venait me voir tous les jours, sans jamais me forcer à faire quoi que ce soit. Il s'asseyait à côté de moi, posait sa tête sur mon épaule et restait silencieux.

Le mardi matin j'ai écrit une lettre d'adieu et j'ai attendu qu'il arrive. Je lui ai dit que je voulais sortir. Il était tellement ravi ! Il m'a accompagné partout où je voulais aller. Au passage piéton le feu était vert pour les voitures, la plus grande route de la ville, elles y roulent tellement vite. Je lui ai surement dit quelque chose, je me souviens qu'il s'était retourné vers moi avec un rictus d'incompréhension. J'ai choisi la voiture au loin, la rouge, ce serait la rouge. Puis j'ai avancé. J'ai entendu des gens crier, j'ai reconnu la voix d'Andrew. J'avais mal de partout. Ceux qui se trouvaient autour de moi s'agitaient. Il n'y avait qu'Andrew penché au-dessus de mon corps, qui tentait de me tenir éveillé, les mains recouvertes de sang.

Même là, alors que moi je ne voulais que le rejoindre lui, il a été là. Toujours présent pour moi, alors que je ne trouve qu'une seule chose à faire en retour : me suicider devant ses yeux.

- Je te demande pardon, ça devait être horrible, annoncé-je en pleurant, la voix brisée.

- Ça l'était et je ne veux plus jamais avoir à revivre une telle chose. Je veux t'aider, mais si tu ne me laisses pas le faire, on ne s'en sortira pas. Ni toi, ni moi, termine-t-il.

Je prends soudain conscience que mon frère jumeau est là, juste devant moi. Les larmes continuent de couler le long de mes joues, mais pour une fois ce sont des larmes de joie.

Au bout d'un certain temps, il s'écarte et je remarque que ses yeux sont rouges et brillants. Mais, comme avant, il ne se laisse pas allez plus longtemps et un sourire éclaire son visage.


Mon trou de mémoireWhere stories live. Discover now