Mon trou de mémoire

Chapitre 44

J'attache mes cheveux en une longue tresse et Lola me demande expressément de lui faire la même. Ses cheveux sont plus courts et plus fins que les miens mais je fais ce qu'elle me demande avec autant d'application que possible. Le résultat semble lui plaire et me fait penser aux petites de mon ancien studio, quand je les aidais avec Emily. Là dans son tutu rose, son cache-cœur rose, ses jambières rose, ses collants rose pailleté, elle ressemble énormément à la petite fille que j'étais. Il n'y a que les cheveux blonds qui sont différents.

- Bonjour Cathy !

Mme Roussigni me tend sa main que je serre machinalement. Je ne peux pas m'empêcher d'être gêné au souvenir de ce qu'il s'est passé la semaine dernière.

- Tu pourras rester un peu en fin d'heure pour qu'on parle de la manière dont on va procéder ?

- Bien-sûr !

J'envoie un message à mon père pour lui demander de ne pas venir immédiatement à la fin de l'heure et il me répond presque instantanément.

Le cours promet d'être, encore une fois, catastrophique. J'ai fait les exercices que m'a conseillé Julien, mon kiné, tous les jours de la semaine et j'ai mal dans tous mes membres. Je boite encore plus que la semaine dernière. Je ne me fais pas d'illusions, Julien m'a bien précisé que les résultats se feraient sentir seulement au bout de plusieurs séances. Il m'a d'ailleurs conseillé de ne pas danser autant de temps d'affilé, du moins pas au début.

L'objectif d'aujourd'hui est de faire les échauffements de début du cours et les étirements de fin de cours. Peut-être que la prof aura une meilleure stratégie à me proposer tout à l'heure, mais pour l'instant c'est tout ce dont je suis en mesure de faire.

Lorsque vient la fin des échauffements je vais m'asseoir sur une chaise et prend une ou deux gorgées d'eau. Je transpire déjà comparé aux filles qui sont seulement enthousiastes à l'idée de commencer réellement le cours. Je suis autant fatiguée que les derniers jours où on préparait un spectacle au studio, dans le temps où mon corps était en parfaite santé.

Talya et Lola tentent constamment d'attirer mon attention et se font réprimander à plusieurs reprises. Néanmoins elles ne se découragent pas, particulièrement quand elles réussissent une figure compliquée. Elles ont un bon niveau pour leur âge et avec plus d'entrainement elles pourraient peut-être envisager de suivre cette voix. Enfin, si elles en ont envie.

L'heure arrive rapidement à son terme et les étirements de fin de séance commencent. Je me remets à ma place dans le fond pour ne pas les gêner par ma taille. Les mamans font irruption dans la salle de danse et les petites partent toutes une par une tandis que celles qui restent poursuivent les étirements. Jusqu'à ce qu'il ne reste que mes sœurs et moi.

- On va aller parler dehors si ça ne te dérange pas ! Il fait très beau aujourd'hui, propose Mme Roussigni.

Les jumelles se changent et récupèrent leurs affaires, j'échange mes chaussons contre mes baskets et nous nous dirigeons vers le parc.

Je me souviens qu'une fois on était venu ici, avec Maxime. On était venu rendre visite à mon père et Sarah et rencontrer les jumelles aussi. On était venu ici et Maxime avait joué toute la journée dans le parc avec elles, il avait été parfait.

- Avant toute chose, est-ce que tu veux vraiment te remettre à la danse ? Parce que ta motivation va y être pour beaucoup.

Me remettre à la danse ? Théoriquement je n'ai pas le choix, mais... J'ai toujours adoré ça, je me suis investie pour ça.

- Oui, je suis prête à faire des efforts.

- Très bien ! sourit-elle, comment ça s'est passé aujourd'hui, tu as des douleurs, des difficultés particulières ?

- J'ai déjà mal aux articulations car je m'entraine tous les jours depuis une semaine avec les exercices de mon kiné, donc je ne pars pas dans de bonnes conditions physiques. Mais j'étais quand même contente que les échauffements s'arrêtent.

Je poursuis sur les symptômes, les tremblements, la perte d'équilibre et tout ce que j'ai déjà expliqué à mon kiné mercredi dernier.

- D'accord, fais bien attention de ne pas aller trop vite, il est important que tu ne te blesses pas. Pour l'instant on va rester sur les échauffements et les étirements, puis on augmentera la cadence. Dis-moi, j'ai besoin de savoir exactement ce que tu faisais avant comme programme d'entrainement, à quelle fréquence ?

- J'avais des cours tous les jours pour la technique pendant trois heures l'après-midi, sauf le samedi et dimanche. Le samedi matin on avait des cours de théâtralisation et on enchainait sur la répétition de la représentation du soir. Le dimanche on n'avait rien mais comme toutes les filles du studio je m'entrainais, je faisais un footing ou un truc du genre avec...

Mon copain. Je me coupe juste avant de prononcer ces mots. Tous les dimanches c'était activité sportive, natation, musculation, basket, foot... On se motivait mutuellement et Andrew le faisait avec nous. Quand on a appris pour sa maladie, nos dimanches sportifs ont perdu de leur saveur, et peu à peu on les a abandonnés puis j'ai abandonné la danse, puis il est mort.

Je poursuis essayant de garder une voix normale.

- Et pendant les vacances scolaires, on échangeait, on avait trois heures le matin et notre après-midi de libre, là encore tout le monde s'entrainait l'après-midi, d'autant qu'il y a beaucoup plus de représentations en été.

Parfois je me demande comment j'ai pu oublier ce genre de détail, cet emploi du temps était pourtant gravé dans mon corps et dans ma tête. Maxime était gravé dans mon corps et dans ma tête. Comment est-ce que j'ai pu laisser mon cerveau oublier ça ? Comment j'ai pu l'oublier lui ?