Chapitre 42

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- Je ne vais pas y retourner, affirmé-je la tête entre mes bras.

La cicatrice qui longe mon avant-bras tire ma peau douloureusement. Mais le plus déplaisant c'est cette souffrance qui tiraille mes membres depuis le cours de danse. Pourtant je n'ai dansé que pendant une dizaine de minutes. Le reste du cours je l'ai passé dans les toilettes en entendant Mme Rousigni marquer les temps à haute voix. Je me suis rappelée que Maxime comptait les temps pour moi lorsque je m'entrainais à la maison. J'avais presque l'impression de l'avoir à mes côtés puis c'était encore pire, parce que si je ne pouvais pas danser c'est parce qu'il n'était pas à mes côtés.

- Qu'est-ce que tu as dit ? demande mon père en se rapprochant depuis la cuisine.

- Que je n'y retournerai pas, soufflé-je encore plus bas.

- Eh bien je ne te laisse pas le choix ! répond-il sèchement, tu y retourneras la semaine prochaine, la semaine d'après et encore la suivante. Dorénavant tous les mardis soir tu seras à la danse et si je dois t'y emmener de force, même devant les petites, je le ferais !

- Mais je n'y arrive pas, protesté-je.

- Peut-être que si tu avais poursuivi la rééducation, tu aurais eu plus de facilité, ironise-t-il.

- Ça n'a jamais marché...

- Arrête d'être pessimiste comme ça, en plus tu sais très bien que ça marche, doucement certes, mais cela fonctionne ! Tu es sortie de l'hôpital il y a à peine six mois. Au début tu avais constamment besoin de t'appuyer sur quelqu'un pour marcher et regarde aujourd'hui !

- Mais... commencé-je.

- Il n'y a pas de mais, me coupe-t-il, ne joue pas aux rabat-joie avec moi jeune fille.

Le ton qu'il utilise marque plus une légère remontrance qu'une faute impardonnable. Cela se confirme quand il vient déposer un baiser paternel sur le haut de mon crâne. En quittant la pièce il dépose un post-it rose sur la table sur lequel est inscrit un numéro.

- Qu'est-ce que c'est ? je demande intriguée.

- Le téléphone d'Andrew, tu sais...ton frère. Je te le donne parce que j'ai l'impression que tu l'as oublié.

Le lendemain mon père me réveille tôt et me demande de m'habiller, les jumelles dorment encore et Sarah travaille déjà dans le salon. Maintenant que j'ai pris le bureau pour chambre elle n'a plus vraiment d'endroit où travailler. Dans la voiture mon père fait la conversation, banalement sans but. J'acquiesce à toutes ses phrases que je n'écoute pas vraiment. Il se gare au bout de 15 minutes sur le parking d'un cabinet.

- Où tu m'emmènes ? questionné-je pour la centième fois.

J'aperçois les plaques de la devanture craignant d'y découvrir la mention d'une psychologue. Mais je n'y aperçois que celle d'un kinésithérapeute. Je suis soulagée un instant qu'il décide de ne pas recourir à cet extrême-là puis je me rends compte qu'il ne va pas me lâcher.

- Je t'ai pris un rendez-vous, tu vas y aller. Je t'attends ici.

- Toute seule ? m'étonné-je.

- Evidemment, fait-il simplement, tu as 21 ans, tu n'es plus un bébé. Je n'aurais même pas dû avoir à prendre rendez-vous pour toi, tu aurais dû comprendre de toi-même que c'était important.

- Je n'ai même pas mon dossier !

Il cherche quelque chose sur la banquette arrière et me tend la pochette. Il a dû avoir l'aide d'Andrew sans quoi il n'aurait pas pu l'obtenir.

- Heureusement que ton papa pense à tout ! fait-il jovialement.

Il sort un livre, enlève son marque-page et commence sa lecture. La discussion est close, il n'y a rien à ajouter. Je défais ma ceinture et ouvre la portière.

- Quand tu auras terminé prend un autre rendez-vous, quand tu veux puisque la prochaine fois tu iras à pied.

Je lève les yeux au ciel et prends grand soin de claquer ma portière, aussi fort que possible. Pas par méchanceté ou par colère mais plus pour le taquiner. Je vois ses lèvres bouger l'air de dire « ah... les enfants ! », ce qui me fait sourire.

Dès que j'ouvre la porte une sonnette retentit. Je suis seule dans la salle d'attente. Je déteste ce genre de pièce, les chaises sont inconfortables, les murs aussi blancs qu'un cadavre, il y règne une atmosphère déplaisante, sans parler de la petite musique d'ambiance. Je choisis de rester debout, sans m'appuyer sur le mur, je serre mon dossier dans mes mains. Je déteste cette sensation, si personne ne vient d'ici une minute je m'en vais, qu'importe ce que mon père dira.

Presque comme un signal, une porte s'ouvre et un jeune homme en sort. Je pourrais le prendre pour un patient s'il n'avait pas cette blouse blanche sur lui.

- Cathy Marks je présume ? Enchanté, sourit-il en me tendant sa main que je finis par saisir.

Il me fait signe d'entrer dans son bureau d'un geste de la main et d'un sourire bienveillant. Il s'installe sur sa chaise et moi sur celle qui lui fait face. Je lui tends mon dossier.

- Alors, alors..., commence-t-il en feuilletant quelques pages, un accident de voiture, c'est bien cela ?

- Oui au mois d'octobre.

Pas la peine de préciser que ce n'était pas un accident.

- Puis un coma jusqu'en février, constate-t-il.

J'acquiesce même s'il n'attend pas de réponse. Il lit attentivement les documents qui l'intéressent, feuillette les radios, tout cela dans un silence pesant. J'en profite pour analyser son bureau, une plante verte, des livres qui ne semblent pas vieux, des stylos soigneusement rangés dans un pot. Accroché sur le mur, je découvre un diplôme, fraîchement daté de moins d'un an... un débutant.

- Je vois que tu as été suivi par un autre kiné avant ?

- J'ai déménagé.

- D'accord, comme je n'ai jamais travaillé avec toi je vais devoir remplir une fiche sur tes antécédents.

J'acquiesce, prête à répondre à ses questions maintenant que je connais les réponses.

- Avant l'accident, tu avais déjà dû être opérée ? Les dents de sagesse ça ne compte pas, termine-t-il dans un sourire.

- Une fois, quand j'avais neuf ans, je me suis cassée la jambe gauche en tombant d'un arbre.

Il acquiesce en notant vivement sur sa fiche client.

- Est-ce que tu fumes ?

- Non.

- Tu pratiques un sport ?

Je mets un certain temps à répondre, j'en pratiquais un avant, ça compte ?

- J'étais danseuse, avant... admets-je.

- D'accord, comprend-il, tu sais quoi Cathy ? On va tout faire pour que tout redevienne comme avant.

Je ne réponds pas à son sourire bienveillant. Que tout redevienne comme avant ? Il peut faire en sorte que je retrouve le même niveau qu'auparavant ? Il peut stopper les tremblements ? Il peut me ramener Maxime, pour que TOUT soit exactement comme avant ?

Je ne pense pas non.


Mon trou de mémoireWhere stories live. Discover now