Chapitre 39

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Tout s'est bien passé pendant deux semaines, deux semaines absolument merveilleuses où aucun souvenir n'a refait surface. Mes sœurs étaient adorables, nous passions nos journées ensemble, à se coiffer, se déguiser et se promener. L'été commençait merveilleusement bien, il y avait longtemps que je n'avais pas senti la chaleur des rayons du soleil sur ma peau. J'étais heureuse, j'étais bien, en cohérence avec cette nouvelle moi.

Puis d'un seul coup, alors que je ne fais rien, que rien de particulier n'occupe mon esprit, ce dernier se met à déverrouiller toutes les portes. Toutes celles qui bloquent mon subconscient et tous mes souvenirs refont surface, tous jusqu'au dernier.

Je me souviens de tout, de tout ce qui reste de Maxime, de mon frère adoré qui a toujours, toujours été là pour moi. De la rancœur que j'éprouve face à la nouvelle famille de mon père, de la tristesse qui m'a accablé le jour où il nous a quitté, de mon professeur de mathématique en sixième, de la poésie que j'ai appris cette même année. De la fois où j'ai été mordue par un chien. Du solo que j'ai dansé il y a deux ans. De ma première fois. De ma mère et de ses secrets vis-à-vis de mon père mais aussi de toutes les blessures qu'elle a guéri d'un coup de baguette magique. Mais surtout de Maxime, de Maxime, de Maxime ...

Encore une fois des larmes affluent sur mon visage, elles me sont devenues si familière. Mes jambes vacillent dans ce tourbillon d'images et d'informations qui s'entrechoquent à l'infini. Je plante mes ongles dans la paume de ma main pour tenter de revenir à la réalité. La douleur est si infime comparée à celle qui m'assaille. Je voudrais tant arrêter ça.

Par-dessus tout je me souviens de la dernière journée où il était encore là. A cette pensée mon cœur et mon âme hurlent de douleur.

Je regarde Maxime à travers la vitre de sa chambre, l'infirmière lui prend sa tension et vérifie tout un tas de trucs dont je n'ai pas voulu retenir le nom. Françoise me tend un gobelet de café, boisson infecte à laquelle nous avons dû peu à peu nous habituer. Je pousse un long bâillement.

- Tu devrais aller faire un tour une petite heure pour te changer les idées, propose-t-elle.

Je hoche la tête, convaincue également que cette proposition ne pourra me faire que du bien.

J'erre sans but dans les allées de cette ville que je ne connais pas, tous les chemins sont bons pour me faire oublier mes tourments. Pendant quelques instants j'arrive à oublier qu'il est malade, que l'homme que j'aime va mourir. Mais sans arrêt un objet, un passant me rappelle cette cruelle vérité. Au bout d'un certain temps je décide de revenir à la réalité en regardant mon téléphone qui a sonné deux fois depuis mon escapade. Les deux appels sont de Françoise. Immédiatement mon cœur panique emportant la dernière parcelle de raison de mon esprit. S'il était mort pendant que j'étais ici, seul et sans moi.

Mes jambes me guident d'elles même vers le chemin de l'hôpital, tandis que j'essaie de contacter Françoise, en vain. J'appelle Denis qui ne décroche pas non plus. Je panique et je mets à courir. Françoise m'appelle à nouveau, si elle insiste autant c'est mauvais signe, très mauvais signe.

- Françoise ! Est-ce qu'il va bien ? Son état s'est encore dégradé ? J'arrive tout de suite je ne suis pas très loin !

Aucune réponse, aussitôt je crains le pire. A travers le combiné j'entends le souffle rauque mais bien présent d'un homme, un souffle que je n'oublierai jamais. Je m'arrête immédiatement et le soulagement m'emporte.

- Tu m'as fait peur idiot, soufflé-je.

- Pardon...tu ne répondais pas, je me suis inquiété, répond Maxime.

Au téléphone sa voix parait encore plus éreintée que dans la réalité. Ses phrases sont lentes et entrecoupées. Il est tellement malade.

- Je suis partie me promener dehors.

- C'est ce que ma mère m'a dit, souffle-t-il.

Je parle tout bas, comme lui, comme si c'était les dernières paroles que je prononçais. Je m'arrête devant un magasin de coiffure, je regarde sans trop y penser la femme qui se fait coiffer. J'entends le bruit régulier et calme des appareils branchés dans sa chambre d'hôpital, des bruits qui me rappellent qu'il est encore en vie. Je ne lui demande pas si ça va, s'il va bien, j'ai arrêté de le faire depuis un moment, à la place de cette question idiote je serre sa main et s'il la serre en retour c'est qu'il va bien, du moins assez bien pour avoir la force de faire ce geste. Il ne parle pas, il se contente de respirer et c'est déjà beaucoup.

- Je t'aime, annoncé-je.

Il n'y a rien d'autre à dire, rien de plus signifiant que cela. Je l'aime et je l'aimerai toute ma vie.

- Je t'aime, répond-t-il d'une voix rauque.

J'entends un râle qui s'échappe de sa bouche et les machines s'agitent dans tous les sens, irrégulières, un vacarme qui sort du combiné. Les médecins se précipitent dans la chambre. Et moi, moi je cours pour arriver avant la fin. 


Mon trou de mémoireWhere stories live. Discover now