Chapitre 36

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- Il va me falloir une valise ou un grand sac, demandé-je.

- Oui, tu dois en avoir un, je crois savoir où tu l'as mis, dit Françoise.

Elle se met à chercher au fond de l'armoire et en ressort deux grands sacs noirs. Elle range en vitesse l'un des deux sacs qui a l'air de contenir quelque chose.

- Qu'est-ce qu'il contient ?

- Oh..., elle sourit confuse, ce sont tes affaires de danse.

Je souris gênée, je prends le sac qu'elle me tend sans me soucier de l'autre. J'empile mes affaires à l'intérieur, elles ne rentrent pas toutes mais c'est le strict nécessaire. Elles seront suffisantes là où je vais.

Ma décision est prise, je pars habiter chez mon père, comme j'aurai dû le faire après le lycée. Il me l'a proposé peu de temps après son arrivée, j'ai accepté sa proposition avec joie. J'ai envie de rencontrer mes sœurs, enfin de les rencontrer à nouveau puisque je les ai oubliées.

Par principe, les parents de Maxime ont voulu que j'ai une chambre à moi quand j'ai emménagé. A l'origine cette chambre était destinée à Andrew et moi quand nous venions dormir ici. Bien-sûr nous n'avons jamais réellement utilisé la chambre, préférant déplacer les matelas dans celle de Maxime. Moi non plus d'ailleurs, je dormais toujours avec Maxime, même les nuits où il était à l'hôpital je dormais dans sa chambre. Françoise me raconte tout ça comme si elle avait vécu elle-même parce que moi je ne m'en souviens pas. Toute la journée elle me parle de Maxime, pas seulement de ce que j'ai vécu avec lui, mais aussi lorsqu'il était enfant. Je sens qu'elle a besoin de parler lui, dans un certain sens moi aussi.

Il est mort il y a sept mois mais j'ai l'impression que ça fait beaucoup plus longtemps. En comparant les visages de mes proches avec les souvenirs que j'ai d'eux, j'ai constaté qu'ils avaient tous changé. La perte de Françoise est marquée sur son visage, elle n'est plus la maman gâteau joviale que j'ai connue.

Je me ballade dans sa chambre à lui, pour voir ce que je veux emporter. J'attrape le petit éléphant rose sur la commode et je me vois blottie entre ses bras rassurants, le petit éléphant contre mon torse.

- Je n'arrête pas de penser au temps qu'on a perdu. Si je m'étais rendu compte plus tôt, si tu me l'avais dit, je ne serais probablement pas sortie avec Arthur. On aurait eu beaucoup plus de temps ensemble, soufflé-je.

- Avec des si on pourrait changer le monde.

Après un silence pendant lequel il reprend difficilement son souffle, il rajoute :

- On avait 15 ans, on était jeune et loin de nous douter de ce qui allait arriver. Ce genre de chose peut arriver à n'importe qui et c'est tombé sur nous. L'important c'est tous les moments qu'on a déjà passé ensemble, tous ceux qu'on passe ensemble et pas ceux qu'on aurait pu passer ensemble. Il faut vivre l'instant présent.

Je déteste quand il parle comme ça, comme s'il avait déjà renoncé. Je m'agrippe à son corps comme s'il allait m'échapper, je serre la peluche dans mes bras en murmurant une prière silencieuse « encore un peu, je vous en prie, ne me le prenez pas tout de suite ».

Je prends l'éléphant et je le dépose dans la pile des affaires que je garde. Cette journée risque d'être chargée en émotions si un nouveau souvenir se glisse entre chaque objet.

Je fixe toutes les photos, c'est une tâche difficile. Je m'arrête à chaque fois pour l'observer sous toutes les coutures. J'essaie de regarder les moindres détails, de reconnaître le lieu où la photo a été prise, parfois j'y arrive mais la plupart du temps j'échoue et c'est déprimant.

La photo qui me pose le plus de problème est celle d'un arbre sur lequel est gravé nos initiales, le tout entouré d'un cœur. Il m'est impossible de savoir où elle a été prise.

- Françoise, l'arbre, où se trouve-t-il ?

Elle s'approche de moi et regarde la photo par-dessus mon épaule, j'entends son souffle régulier.

- Dans le parc, ce n'est pas très loin d'ici, vous y alliez souvent à pied.

Elle me montre une autre photo, que je n'avais pas encore vue, où nous sommes tous les deux devant cet arbre.

- Cet arbre, c'est une promesse. Je ne sais pas laquelle, vous souteniez que nous la dire l'empêcherai de se réaliser. En tout cas je sais que c'est devant cet arbre que tout a commencé, annonce-t-elle dans un tendre sourire.

- Notre premier baiser, me rappelé-je.

Une autre photo me fait rire tendrement, les deux protagonistes sont faciles à reconnaître bien qu'ils aient tous deux des années en moins. Andrew et Maxime dans le salon de Françoise, dans un pyjama assorti aux couleurs de l'espace. Ils lèvent triomphalement les bras en l'air et semblent très actif bien que la nuit soit tombée.

Françoise regarde la photo par-dessus mon épaule et sourit, elle aussi.

- Tu sais que tu ne l'aimais pas au début ? annonce-t-elle.

- Je n'en garde aucun souvenir mais je l'ai lu dans mon journal intime.

- Je me souviens d'un soir, où vos deux parents travaillaient et où ils nous ont demandé de vous garder à dormir Andrew et toi. Je doute que tu te souviennes un jour de ces jeunes années, vous deviez avoir dans les huit ans. A cette époque tu n'appréciais pas Maxime et cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Andrew et Maxime étaient fous de joie de passer la nuit ensemble mais pas toi. Tu pleurais parce que tu voulais tes parents, tu voulais ta chambre et tu ne comprenais pas pourquoi tu devais dormir ici.

Elle marque une pause dans son récit. Un léger sourire flotte au coin de ses lèvres, un joli trait de famille dont Maxime avait également hérité.

- En milieu de soirée, alors que les deux garnements ne cessaient de crier dans tous les sens, je vous ai dit qu'il était l'heure d'aller au lit. J'ai commencé par te coucher toi, la tâche semblait moins compliquée. Mais tu t'es mise à pleurer à chaudes larmes en réclamant tes parents. J'ai essayé de te rassurer en te disant que plus tôt tu te couchais, plus tôt tu les retrouverais mais rien n'y faisait. Les garçons se sont approchés de toi, dieu merci les hurlements avaient cessés, ils t'ont pris chacun une main en te disant des paroles rassurantes.

Elle marque une pause émouvante en reprenant son souffle.

- J'ai été témoin de la plus grande marque d'affection qui puisse exister. J'en aurais presque pleuré, vous étiez si adorables. Tu as cessé de pleurer, vous vous êtes couchés main dans la main et vous vous êtes endormis presque aussitôt. Le lendemain, vos mains étaient toujours entrelacées. A partir de ce moment tu n'as plus jamais vu Maxime comme une menace mais comme un frère que tu as aimé tendrement. 

Mon trou de mémoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant