Chapitre 37

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Bien que le téléphone soit devant moi, je trouve le courage de l'appeler qu'au bout d'une dizaine de minute. Il décroche à la première sonnerie mais je ne trouve finalement rien à lui dire. J'entends son souffle régulier à l'autre bout de la ligne. Je prononce un timide « Salut » qu'il me rend à son tour.

- Papa est chez Françoise et Denis, commencé-je.

« - Je sais je l'ai vu hier. »

- Tu savais qu'on avait deux petites sœurs ?

« - Bien sûr, papa les a emmenés l'année dernière, elles sont mignonnes. »

- Pourquoi tu ne cherches pas à les voir plus souvent ? A ta place j'aurai adoré avoir une petite sœur.

« - J'ai déjà une petite sœur, souffle-t-il. »

Il n'engage pas la conversation et se contente de répondre à mes questions. Ça me blesse de lui parler en sachant ce qu'il a fait. Machinalement, je fais tourner dans ma main l'anneau qui ornait mon doigt, je le fixe sans ciller.

- Je vais partir chez papa.

Un léger silence s'installe, rapidement brisé par sa voix.

« - Quand ? »

- Dans pas longtemps.

« - Pourquoi tu ne restes pas ici ? Tu as ta propre chambre chez Ma... Françoise. »

Le fait qu'il ait failli prononcer son nom me fait monter les larmes aux yeux. Cette souffrance transparait dans ma voix. La bague tourne entre mes doigts.

- Il faut juste que je m'éloigne quelques temps, j'ai besoin de prendre de la distance par rapport à tout ça.

Je marque une pause.

- Je n'arrête pas de le voir, tout le temps, partout. Il est partout.

« - Ne pars pas je t'en prie. »

- Je n'y arrive pas.

« - Je peux t'aider ! »

- Tu n'as pas réussi la première fois...

« - On apprend de ses erreurs. »

- Dommage que je ne me souvienne pas des miennes.

Je raccroche, prête à éclater en sanglot. J'enfouis ma tête dans mon oreiller pour que personne ne puisse m'entendre et je laisse sortir tout ce qui bloque mon cœur, du moins seulement une partie.

Il fallait que je l'appelle, que je lui parle une dernière fois avant de partir. Mais je ne sais pas si je me sens mieux ou pire qu'avant. Lui parler a fait remonter tellement de choses que je ne voulais pas rouvrir, tellement de choses que j'aurai préféré laisser enfouies. Je voudrais tout recommencer à zéro, recommencer ailleurs avec des personnes que je ne connais pas, construire une nouvelle moi. Qu'on ne me regarde pas avec un regard de pitié.

Je tourne l'anneau dans mes doigts et le dépose sur l'oreiller qui me fait face, celui qui devrait être occupé par lui. Puis je descends en bas et retrouve les parents de Maxime.

- Je vous promets de revenir vous voir.

Mon père met mes valises dans le taxi, tandis que je dis au revoir à Françoise et son mari. J'ai emporté l'éléphant rose en peluche. Je suis allée une dernière fois sur sa tombe, j'ai parlé à Andrew, je suis prête.

Malgré tout j'éprouve un pincement au cœur. J'ai peur de tout quitter, toute la vie que j'ai construite ici avant mon accident, tous les gens que j'aime. En fermant les yeux, je parviens à imaginer la vie que je menais ici avant, la vie que je ne peux plus vivre. J'ai besoin de m'éloigner d'ici pour me retrouver, retrouver la fille que j'étais avant ou mieux, devenir quelqu'un d'autre.

Les adieux sont difficiles mais nécessaires. Mon père les remercie une dernière fois pour leur hospitalité et pour tout ce qu'ils ont fait. Elle me prend encore une fois dans ses bras en retenant ses larmes.

Dans la voiture je regarde le paysage défiler en même temps que mes souvenirs. Je nous vois, tous les deux, sur le chemin de sa maison, faisant des allers retours entre ma maison et la sienne, parfois accompagnés d'Andrew. On se tient par la main, on court, on marche. On a prit ce chemin de tellement de manières différentes et à tout âge que je le connais par cœur.

- On sera à Paris ce soir, les jumelles t'attendent avec impatience. Talya t'a déjà fait trois dessins et elle en fera encore certainement, Lola a décoré ta chambre, elle s'est bien amusée. Tu vas très bien t'entendre avec elles, elles me font énormément penser à toi à leur âge. Elles font toutes les deux de la danse classique depuis que je leur ai dit que leur grande sœur en faisait.

- Elles ont l'air adorable.

- La première fois que tu les as rencontrées ça s'est très bien passé, Maxime avait été génial avec elles.

La mention de son nom me bloque. Mon père semble remarquer mon brusque changement d'humeur et s'apprête à s'excuser.

- Comment vous vous êtes rencontré avec Sarah ? je demande.

- Sarah ? Euh, oui... c'était peu de temps après mon arrivée, on était dans le même quartier, on s'est rencontré un peu par hasard et ça a été le coup de foudre.

Il y a de l'émotion dans sa voix, quelque chose de beau. Il doit sûrement voir l'image de sa nouvelle femme dans ses yeux, l'image de la première fois qu'il l'a rencontré. J'aurai aimé pouvoir en faire autant, me souvenir de la toute première fois où je l'ai rencontré, des sentiments que j'ai éprouvé à ce moment-là. J'aurai aimé pouvoir me souvenir de ce que je ressens en sa présence. Mes yeux doivent refléter mon désarroi car mon père s'empresse de me rassurer.

- Tu sais, j'aimais ta mère et je vous aime vous. J'ai peut-être une nouvelle femme et d'autres enfants mais ça ne change rien, ce que j'ai vécu avec ta mère a compté pour moi, vous comptez pour moi, toi autant qu'Andrew.

J'acquiesce vigoureusement, je suis contente qu'il me fournisse cette excuse. Je n'arrive pas à lui dire que je ne m'inquiète pas de son amour à notre égard où des éventuelles répercussions que les divorces ont normalement sur les enfants. Je ne me souviens pas de cette époque, je ne vois pas comment je pourrai être bouleversé par sa nouvelle famille. Au contraire, je suis heureuse pour lui, je suis contente d'avoir deux adorables petites sœurs. Seulement je voudrais pouvoir penser à lui comme mon père pense à Sarah. Tout en ayant la certitude de le retrouver le soir en rentrant à la maison.


Mon trou de mémoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant