Chapitre 46

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Mme Roussigni est encore une fois en retard. Certaines mamans s'en vont, d'autres restent pour veiller sur la troupe. Mes mains ne me font plus mal, mais mes genoux me démangent à cause des croutes qui se sont formées. Je me réjouis d'avoir passé les mois suivant mon accident dans le coma pour ne pas avoir eu affaire à cela avec mes cicatrices.

- Bonjours Cathy, comment vas-tu ? demande chaleureusement la mère d'Agathe.

- Je vais bien, et vous ?

- Tutoie-moi je t'en prie, je ne suis pas une vieille dame ! ordonne-t-elle dans un clin d'œil, et appelle-moi Vick.

Agathe vient me réclamer une coiffure comme celle de Talya et Lola, coupant notre conversation. Je la lui fais volontiers et elle court se pavaner aux côtés des jumelles.

- J'ai hâte que ce petit monstre retourne à l'école, souffle-t-elle, plus que deux semaines à tenir !

- Imagine que nous on en a deux.

Elle s'esclaffe et je fais de même. Certes j'adore mes sœurs mais elles sont un tel concentré d'énergie que cela en devient épuisant de les avoir tout le temps à la maison. Surtout pour Sarah qui travaille directement de chez elle.

- Qu'est-ce que tu vas faire à la rentrée ? Tu dois être à l'université non ? Ou tu travailles peut-être déjà ? s'interroge-t-elle.

- Je..., non, je n'ai...

Je m'apprête à répondre que je n'ai que ça, que la danse, mais je suis heureusement interrompue par l'arrivée de la prof. Je me demande comment j'ai fait pour ne pas y penser plus tôt. Qu'est-ce je vais faire plus tard ? L'objectif était d'être danseuse étoile mais si je n'y arrive pas qu'est-ce qu'il va se passer ? Et si j'y arrive comment je vais payer les frais, je n'ai plus de bourse sportive.

Plus important encore, qui paie l'abonnement à la danse, mon kiné, mes affaires ? Je ne peux pas laisser mon père tout prendre en charge, si c'est bien lui qui s'en charge. Je ne pourrai pas non plus vivre éternellement chez mon père, je prends déjà beaucoup de place dans leur vie. Je n'ai même pas mon permis ! Comme je manquais de temps avec mes entraînements c'est Andrew qui s'est chargé de passer le code, et je l'ai aidé pour l'achat de la voiture et l'assurance. En échange il m'emmenait où je devais aller, sans exagération bien sûr. Il y avait aussi Maxime qui avait son permis. Je comptais énormément sur eux, j'étais dépendante d'eux. Maintenant je n'ai ni l'un ni l'autre et je ne sais rien faire seule.

Au moment de danser je me concentre sur le programme que m'a donné Mme Roussigni, s'il y a bien une chose que je suis en mesure de contrôler c'est le moment présent. En danse, il y a une chose qui ne pardonne pas : la déconcentration.

Je retrouve bien vite tous mes questionnements une fois que je suis de retour chez mon père. Je ne sais comment aborder le sujet avec lui. Cependant il remarque très vite que quelque chose ne va pas. Il n'arrête pas de me fixer d'un air interrogateur mais je détourne très vite le regard. Je m'occupe en mettant la table pour le diner. Les jumelles ont sorti une boîte de figurine en plein milieu de la salle à manger et nous devons déployer de nombreux efforts pour empêcher Poilu de s'emparer de l'une d'elle.

Ce n'est qu'après le repas, une fois les jumelles parties mettre leur pyjama, que je m'installe en face de lui, rongeant les ongles de ma main.

- Tu as quelque chose à me dire, je me trompe ?

- Fort probable, admets-je.

Mais je ne dis toujours rien, préférant triturer mes mains dans tous les sens.

- Faut-il que je devine ce dont tu souhaites me parler ?

- Qui paie ? lancé-je d'un seul coup, parce que je sais qu'un studio ça peut coûter cher, il y a aussi les vêtements, les chaussons de danse, les frais du kiné... J'avais une bourse avant et même là maman avait beaucoup de travail pour joindre les deux bouts. Je vis ici depuis deux mois et pas une seule fois je n'ai pensé aux dépenses liées à ma présence. Vous avez déjà les jumelles et du jour au lendemain je suis arrivée dans votre vie. En plus vous faites tout ça pour rien étant donné que je n'arrive pas à danser. Je ne sais même pas ce que je vais faire plus tard. Je ne peux pas rester indéfiniment ici.

J'énonce tout ça sans même reprendre mon souffle, laissant sortir toutes mes craintes et mes angoisses au grand jour. Mon père m'écoute du début à la fin, un léger sourire sur le coin des lèvres.

- Peux-tu me rappeler, demande-t-il avec douceur, l'âge que tu as ?

- J'ai 21 ans, soufflé-je en sachant pertinemment qu'il connaissait la réponse.

- Un bel âge, commente-t-il, un âge auquel on a encore le temps. Tu peux encore trouver une voie autre que la danse classique ou bien t'accrocher et devenir la plus douée de toutes les danseuses. Même après ça tu pourras encore trouver une voie différente. Personnellement j'en suis à mon troisième métier et je commence à me lasser, j'envisage éventuellement de changer. Pour ce qui est de l'argent, d'une certaine manière c'est toi qui paie tout depuis le début.

- Je paie ? Mais avec quel argent ? m'étonné-je.

- Avec le mien pour être exact.

Devant mon expression de perplexité totale, il s'empresse d'ajouter :

- Tu te souviens quand tu m'avais recontacté pour la première fois ? Tu m'as dit que tu avais trouvé toutes vos cartes d'anniversaire et de Noël. Sauf qu'il y avait à chaque fois un chèque que votre mère me renvoyait. J'ai mis la totalité de ces chèques sur un compte, avec la pension alimentaire qu'elle refusait également. Ce qui te fait une belle petite somme, sur laquelle je me suis un peu servi depuis ton arrivée. Rien de trop alarmant, les frais ne sont pas aussi grands que tu ne le penses. Andrew aussi a son propre compte.

A la mention de son prénom je redeviens muette. Je ne veux rien savoir de lui, je ne veux pas le voir non plus. Mon père le remarque et se désole de ma réaction.

- Avec cet argent il a loué un appartement à Paris.

- Andrew va venir habiter ici ? demandé-je sur un ton, sans doute un peu trop, acerbe.

- Non, Andrew va habiter chez lui et il se trouve que ce chez lui n'est pas très loin d'ici. D'ailleurs, il vient manger à la maison samedi.

- Tu sais bien que je ne lui parle plus, m'affolé-je.

- Toi, peut-être, mais je suis autant ton père que le sien et en tant que tel, je vous aime tous les deux de la même manière. Andrew viendra diner ici que ça te plaise ou non.

Mon trou de mémoireWhere stories live. Discover now