4. Prise de température

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Le robinet avait d'abord pétaradé en crachant un liquide brunâtre. Puis l'eau était restée froide presque trois minutes, avant d'enfin embuer les parois. La douche de la morgue n'avait peut-être jamais été utilisée depuis la construction des lieux, mais il fallait une première fois.

Il y avait pourtant moyen de faire des tas de choses sous une douche. On pouvait y piéger un collègue particulièrement odorant et lui poser un ultimatum, ou dégriser un assistant à tendance alcoolique... Approfondir des relations intimes ou, plus prosaïquement, y laver les planches d'une étagère salie, un pantalon taché par une déjection douteuse et la sueur d'une journée à découper du maccabée.

Ou les résidus d'un jogging matinal, en l'occurence.

Heureusement, le chauffe-eau fonctionnait, ainsi que le mélangeur, et après quelques réglages hasardeux, Laura se décrassa avec satisfaction, oubliant les toiles d'araignée qui coiffaient la cabine. Gagnée par une bonne humeur imprévue, elle se mit à chanter.

Le fracas de la porte d'entrée, qui se refermait violemment et automatiquement derrière chaque visiteur, la fit sursauter, taire et sourire. Le résident tirerait probablement une tête mémorable en découvrant que la douche était susceptible d'être utilisée à autre chose qu'à ramasser la poussière, mais elle avait un dictionnaire de réparties prêtes à le recevoir. Elle entendit des pas, puis il poussa la porte des sanitaires. Laura se prépara.

— Allan ? Tu prends des douches dans ces installations vétustes, mon loup ? interrogea une voix féminine, qui prit Laura au dépourvu.

— Hum... Ce n'est pas Allan, répondit la légiste, réprimant un rire.

— Oh ! Euh... Excusez-moi ! lança l'autre, et la porte claqua.

Laura en profita pour se glisser hors de la douche et rejoindre la cabine voisine, où elle avait entreposé ses vêtements.

Quelques minutes plus tard, elle fit son apparition dans la salle principale. Son nouveau collègue y discutait avec une femme blonde, en tailleur élégant. Laura la trouva jolie, et jeune, et s'essuyant les cheveux d'un geste énergique, elle les salua.

— Voilà le docteur Woodward, Jill, annonça Ubis.

Laura acquiesça sans rien dire, tentant de contenir une hilarité bon enfant qui lui semblait peu appropriée.

— Je suis navrée, j'ignorais que l'Institut avait engagé un nouveau légiste, s'excusa la dénommée Jill.

Laura décela autre chose dans ses yeux, une vague méfiance peut-être, mais se contenta de hausser les épaules.

— Pas de soucis. J'imagine que plus personne ne se souvenait de l'existence de ces douches.

Elle sourit.

— Woodward, je vous présente l'inspectrice Jill Haybel, de la Criminelle. C'est souvent elle que vous croiserez sur les scènes de crimes, annonça le docteur Ubis.

— Enchantée.

Elles se serrèrent civilement la main.

— Je vais y retourner, dit Jill. Julien doit avoir terminé.

Elle s'appuya sur l'épaule du légiste et le gratifia d'un baiser furtif sur la joue, à la fois chaste et chargé de promesses. Ubis parut surpris mais aussi ravi ; le rouge qui lui teinta les joues tranchait sur son teint trop pâle.

Pour Laura, les choses étaient limpides : Haybel marquait son territoire, chose que l'expression « mon loup » l'avait préparée à découvrir. Elle ne put s'empêcher de rire intérieurement : son intérêt pour le légiste de New Tren était purement professionnel et elle n'usait pas souvent des confessions sur l'oreiller pour remplir une mission.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now