42. Le silence de l'abri

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Exceptionnellement, un petit chapitre ce samedi, parce que je ne pouvais pas laisser cette pauvre Laura comme ça...

***

Assise sur un siège de messe, face au choeur gris, Laura lorgnait la voûte.

L'église défigurée se déployait en reflet de ses pensées. Figée, glaciale, fragile malgré les apparences, comme en témoignaient les traces indélébiles qu'avaient laissées les vandales. Les lumières pâles du dehors fusaient, sales, au travers des sacs en plastique et des quelques vitraux ternis.

Pourtant, les lieux conservaient une certaine grandeur, comme un écho du ciel, loin au-dessus , et Laura contemplait les arcs et les moulures plutôt que les graffitis qui les maculaient. Cette église n'avait rien d'une œuvre d'art, elle le savait, il n'y avait rien de transcendant dans son architecture et son mobilier. Mais derrière la médiocrité, elle devinait un sens enfoui, un sens qu'elle n'avait jamais compris, qu'elle trouvait même franchement risible, mais qui avait dû habiter les artisans.

À cet instant, pourtant, elle aurait voulu pouvoir l'effleurer, cette certitude, la promesse d'autre chose, d'une rive distante, de la survie. Elle ne percevait que le froid pénétrant de l'hiver, et une douleur sourde au milieu du front, la pointe des larmes retenues qui tambourinaient contre ses tempes.

Le bord du gouffre.

Tant d'injustice.

Elle était en vie.

S'arrachant à la pierre, elle observa sa propre paume, ses doigts, leur mouvement, la danse de son propre sang, quelque chose d'ancien, d'inné, qui bruissait au plus profond de sa respiration, ses muscles qui se crispent, se soulèvent, se relâchent, un murmure tranquille et persistant, impossible à verbaliser et pourtant fondamental. Fermant les yeux, elle toucha son propre visage, l'arc de son nez, de ses sourcils, la texture de sa peau, de son front à ses joues, à son menton, à sa gorge. Un soupir qui part en volutes claires dans l'air.

Elle garda les paumes pressées sur son visage.

La vie.

Etait-ce ça se sentir en vie ? Le corps restait un temps avant de s'effriter, elle le savait mieux que quiconque. Mais pouvait-on être en vie sans lui ? Sans les battements sourds du cœur qui soulève la peau entre deux côtes ? Sans le poids du monde sur des épaules fatiguées ? Sans une démangeaison dans la nuque, un léger mal de gorge ? Que reste-t-il ensuite ?

Rien.

Une porte se referma sur sa droite, mais elle ne bougea pas.

Elle l'entendit approcher, s'asseoir sur le siège voisin, le froissement des étoffes qui se frôlent, le craquement du bois, son souffle calme... puis il se pencha pour déployer un plaid sur ses épaules. Elle le rattrapa d'une main maladroite, le drapa autour de sa carcasse transie.

— Tu es sûre que tu ne préfères pas aller dans le presbytère ? Il y fait nettement moins froid. Et il y a du thé.

Elle secoua la tête sans le regarder. Pas maintenant, pas tout de suite. Elle avait besoin, juste là, d'être dans cet endroit vaste et silencieux. Aaron posa la main sur son genou, une main mal assurée, elle devina sa maladresse et sa gène.

— Est-ce que ça va ?

Elle haussa les épaules puis bascula contre lui et il la serra dans ses bras, simplement, sans rien ajouter.

— Je voudrais tellement que tu aies raison, murmura-t-elle. Je n'y crois pas une seconde, mais je voudrais tellement que ce soit vrai.

— Je ne vais pas essayer de te convaincre, répondit-il.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant