21. Mises au point

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Lorsque Laura quitta son appartement le lendemain matin, Sam l'attendait sur l'esplanade devant l'immeuble, assis sur le dossier d'un banc, un livre à la main. Il portait son habituel costume, des mitaines et une écharpe bariolée. Concentré, il avait l'air d'un doux poète, les cheveux blonds agités par la brise. En l'apercevant, Laura eut une brusque envie, incompréhensible, de faire un détour pour l'éviter, avant de s'en vouloir et de s'approcher de lui avec le sourire. Il leva les yeux et sauta de son perchoir. Elle se demanda depuis combien de temps il la guettait : il n'avait même pas envoyé de message.

— Je vais être pris jusqu'au 31, annonça-t-il. Je me suis dit qu'on pouvait aller boire un café avant que tu n'attaques.

Il la prit dans ses bras. Elle posa le front sur son épaule et sentit cette délicieuse chaleur qui émanait en permanence de lui. Elle se blottit davantage.

— Je ne suis pas très réveillée. J'ai eu un appel vers quatre heures du matin... et je ne peux pas trop tarder.

— Une demi-heure et un expresso.

— Acceptable.

Il l'entraîna vers la voiture couleur prune. Elle songea aux risques qu'ils soient vus par un employé de l'Institut, puis à la contre-rumeur bien nécessaire que cela propagerait, et cessa de s'inquiéter.


Ils se posèrent dans un café chaleureux et manifestement couru, à trois rues de la morgue. Sam salua l'une ou l'autre tête connue, d'un geste, un mot amical, avant de guider sa compagne vers une table cachée parmi de véritables fougères. Qu'il puisse vouloir s'afficher avec elle inquiéta Laura, et précipita la conversation.

— Sam... Il y un truc important dont je dois te parler.

Son expression refléta tout de suite sa surprise, mais il demeura détendu. Elle tourna dans sa tasse, les yeux fixés sur la surface brune. Cet embarras ne lui ressemblait pas, mais les règles du jeu lui paraissaient faussées. Sa superbe la déstabilisait.

— Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il, sans la presser.

— Ça doit rester entre nous. C'est important.

Malgré les mises en garde d'Ubis, malgré ses propres plaisanteries, elle lui faisait confiance. Il lui avait prouvé qu'il n'était pas celui qu'elle avait craint.

— Sam, je ne vais pas rester longtemps à New Tren. Je n'y suis que de passage.

Le journaliste lui prit la main et caressa sa paume du pouce. Impossible d'ignorer la barre qui venait de se dessiner sur son front. Elle jura intérieurement, mais elle devait oser poursuivre.

— Que veux-tu dire ? la relança-t-il, à mi-voix.

­­— Je ne suis à New Tren que pour une période limitée. En fait...

Elle chercha son regard, qu'il lui offrit avec réticence.

— En fait, Ubis, il est... gravement malade. J'ai été engagée pour lui prêter main forte jusqu'à ce qu'il aille mieux.

Qu'est-ce que tu racontes ? songea-t-elle avec désarroi.

C'était trop tard.

— Il est malade ? s'étonna Sam.

— Oui, gravement. Enfin, écoute, c'est confidentiel.

­— Bien sûr, mais... Laura, il est malade, pourtant il bosse... non ? Donc même s'il allait mieux... ça ne changerait rien à la charge de travail.

­— Il... il est moins présent... Il a besoin d'être secondé. Mais c'est temporaire... Je suis... intérimaire, en quelque sorte.

­— Tu pourrais postuler pour le remplacer définitivement.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now