54. Messe noire

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Les ténèbres régnaient autour de l'église et du presbytère. Aucune lumière, ni dans la nef, ni à la fenêtre de la cuisine, ni dans les hauteurs. Laura tambourina un moment à la porte, recula pour observer une éventuelle réaction. Aaron n'avait pas de voisins proches, aussi n'hésita-t-elle pas longtemps avant de hausser la voix.

— Aaron ! Ouvre-moi ! Je ne t'obligerai pas à partir si tu n'en as pas envie ! On peut discuter !

Le silence seul lui répondit. Elle n'en était guère surprise. Elle voulait penser qu'Aaron avait décidé de se rebeller. Il fallait que ce soit ça, rien d'autre, un désir stupide de refuser l'évidence. Mais, dans le fond, elle n'y croyait pas. Il n'était pas si bête, pas si fier.

Quelque chose lui était arrivé.

Elle contourna l'édifice pour regagner le parvis. La petite esplanade devant l'église était déserte, aucune trace des prostituées et des sans abris qui venaient d'ordinaire partager une tasse de café avec le curé. La pluie martelait les pavés inégaux, un chien errant fouinait dans une pile de sacs poubelles, une voiture passa au bout de la rue et disparut dans la nuit. Laura se glissa sous le porche et entra.

Il faisait glacial, plus que jamais, et Laura renonça à allumer les lampes, même s'il y avait peu de chances que quelqu'un, à l'extérieur, s'inquiète de ce qui se passait dans la nef. Elle préféra recourir à la torche de son téléphone et progressa dans la travée principale à grands pas.

— Aaron ?

Rien. Ou alors un murmure.

Elle accéléra le pas, atteignit le choeur.

— Aaron ? Tu es là ?

Un miaulement étouffé lui répondit, suivit d'un grattement.

Merde, songea-t-elle. Souci.

Pris dans l'urgence, ils avaient complètement oublié le chat d'Ubis.

Elle gagna la porte du presbytère et l'ouvrit. L'animal se glissa hors de la pièce et vint se frotter à ses jambes, peu rancunier mais avide. Elle s'accroupit pour le caresser, il la poussa de la tête puis finit par la mordre.

— Désolée, grommela-t-elle.

Cette fois, elle pressa l'interrupteur et fouina dans la cuisine à la recherche de croquettes ou de pâtée pour satisfaire le fauve. Qu'allait-elle faire de cette encombrante créature ?

En nourrissant l'animal, elle put constater que, comme elle l'avait craint, il n'y avait aucune trace d'un passage récent du prêtre. Pas de bouilloire sur la cuisinière, pas de tasse de thé entamée, pas d'assiette salie dans l'évier. Comme Souci se sustentait, Laura grimpa à l'étage, poussa les portes, sur une chambre, une autre, la salle de bain, sans plus donner de la voix. C'était peine perdue. Il n'était pas rentré. La soutane traînait en travers du lit, là où il l'avait abandonnée en se changeant une dernière fois. Laura l'effleura du bout des doigts puis s'assit lourdement sur la couverture. Son coeur tambourinait contre ses côtes, elle tempéra sa respiration du mieux qu'elle le put.

Elle sortit son téléphone de sa poche : il n'y avait aucun message, aucun appel en absence, rien. Elle tenta de joindre Aaron puis Celarghan, renonça à contacter Duncan : il l'aurait fait de lui-même s'il y avait eu du neuf.

Si le prêtre n'était pas monté dans le train, qu'avait-il pu faire ? Rester à New Tren ? Mais pour aller où ? Il avait toujours semblé isolé, comme ancré dans son église, incapable de s'en éloigner longtemps, de s'en affranchir. Est-ce qu'il avait cherché à la retrouver ? Il ne l'avait pas appelée, ne connaissait pas son adresse. Peut-être avait-il rejoint la morgue. C'était une piste, la seule, qu'elle pouvait explorer.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now