16. Le point de vue du journaliste

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— Quelqu'un a eu une mauvaise journée, remarqua Sam en lui ouvrant la porte.

Pieds nus, en bras de chemise, il avait l'air harassé mais aussi ravi. Il avait toujours l'air ravi. Laura le soupçonnait de s'entraîner devant son miroir. À sourire, hausser les sourcils, froncer le nez sur une moue attendrie. Elle songea malgré elle à Jill Haybel. Elle aurait fait la paire avec Sam, en matière de spécimens parfaits de l'espèce humaine.

Elle se contenta d'un soupir, accepta un chaste baiser sur les lèvres et le suivit dans l'appartement. Il avait déjà disposé une bouteille de vin et des verres sur la table basse, allumé quelques bougies, et du jazz tranquille s'échappait des enceintes. Laura n'avait aucun goût pour ce genre de musique, mais elle ne l'aurait jamais avoué. Elle se dépouilla de son imperméable jaune d'or, puis de ses chaussures et accepta le verre que Sam lui tendait.

Comme elle n'échapperait pas à son regard inquisiteur, elle céda.

— Rien de spécial. Petites tensions entre collègues. Des broutilles, franchement.

L'expression de Sam révéla qu'il n'en était guère surpris.

— Tu veux en parler ?

— Pas vraiment.

— C'est sage. Je ne sais pas si je parviendrais à garder mon objectivité.

Elle ne put s'empêcher de rire. Si elle lui avait tout déballé, l'objectivité aurait été son dernier souci. Une bonne dose de mauvaise foi, un jugement sans pitié, tout ça aurait été parfait. Mais elle devait garder sa réserve : les enjeux étaient trop importants.

Elle était particulièrement frustrée d'avoir été incapable de conserver suffisamment de sang-froid pour aborder, comme elle l'avait prévu, la question du Tueur aux Foies. Le Dévoreur, l'appelaient les médias, pour une raison inexpliquée.

— Tu veux me raconter ta journée ? offrit-elle.

— Rien de folichon. Interview avec la curatrice de l'exposition sur les peintres naturalistes de Bryne dans la matinée.

Laura n'avait aucune idée de ce dont il retournait, mais hocha la tête d'un air pénétré. Au sourire de Sam, elle devina qu'il n'était pas dupe, mais il ne releva pas.

— Déjeuner avec un des mécènes de la chaîne à midi. Discussion pour la soirée de Noël jusqu'à quinze heures. Puis j'ai enregistré deux stupides spots promotionnels pour Internet : il parait que j'attire les jeunes femmes qui traînent sur les réseaux sociaux.

— Comme si tu étais surpris ! ironisa Laura.

— Mais à quoi ça sert, au juste ? Elles cliquent sur le lien à cause de mon joli minois, puis elles découvrent une série d'émissions sur les archives du Musée d'Histoire, les dessous du Parlement et la biologie sous-marine ? C'est stupide. Mais bon, pas le choix. C'est dans mon contrat, je peux protester mais je dois quand même plier.

Il haussa les épaules.

— Et vous faites une émission pour Noël ?

Cette fois, Sam lâcha un soupir non feint.

— Ne m'en parle pas. C'est l'idée lumineuse du nouveau patron. Une soirée musicale en direct, soi-disant pour concurrencer les autres chaînes. C'est d'un ridicule consommé. Comme si les gens n'avaient pas mieux à faire de leur soir de Noël.

— Certaines personnes sont seules, à Noël.

— Certes. Mais tu penses qu'elles vont préférer regarder un bon film, une émission de téléréalité croustillante, ou bien une soirée de musique classique soporifique ?

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now