55. Une vérité inacceptable

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Mes excuses d'avance...

***

Ubis l'entraîna jusqu'à une petite voiture grise, juste au coin de la rue. Laura ne voulait pas regarder derrière, elle ne voulait en fait plus regarder nulle part, juste se réveiller.

— Prends le volant ! s'exclama Ubis en lui fourrant les clefs entre les mains.

Elle ne comprit pas ce qu'il disait, mais les réflexes prirent le dessus et en une seconde, ils avaient démarré. La voiture fila dans la nuit noire, légère et sauvage, bifurqua devant l'église, phares allumés, à pleine vitesse. Le parvis était couvert d'une dizaine de zombies qui, dès qu'ils les virent, se ruèrent sur la route.

— N'hésite pas, murmura Ubis.

— Ce n'était pas mon intention, lui répondit Laura.

Elle enfonça la pédale de l'accélérateur et le véhicule bondit en avant. Il y eut un bruit immonde d'os brisés, de chairs déchirées et de tôle souffrante, et comme des quilles, les hommes furent fauchés. Aucun n'atteignit le pare-brise, mais l'un d'entre eux fut traîné sur plusieurs mètres avant d'être aspiré par la roue et de finir dans un grand bruit.

Ils roulèrent dans un silence heurté par leurs respirations meurtries. Les mains de Laura, couvertes de sang, de pire, collaient au volant. Elle n'avait aucune idée d'où aller, aucune idée d'où elle était, de ce qui venait de se produire. La prise de conscience de cette fuite en avant absurde la fit soudain hoqueter et l'environnement se brouilla.

Ubis posa une main ferme sur son avant-bras.

— Range-toi ici.

Elle obéit, l'entendit à peine ouvrir sa portière, avant qu'il n'apparaisse devant la sienne et l'entraîne à l'extérieur. Elle manqua tomber sur le trottoir, s'agenouilla et vomit sur le sol. Il resta près d'elle, la fit basculer front contre sa poitrine, tandis qu'elle était agitée de spasmes. Il garda les bras autour de ses épaules, elle crispa les doigts sur les siennes, une fois, deux fois, puis gémit sans le vouloir.

Respirer.

C'était du délire. Elle rêvait. Rien de tout ça n'était réel, n'était possible, n'était arrivé. Elle allait ouvrir les yeux sur son plafond, téléphoner à Duncan pour l'engueuler, Celarghan lui exposerait ses grands principes au petit déjeuner.

Aaron avait disparu.

Entre ses jambes pliées, elle regarda le trottoir humide, ses reflets de pluie, un morceau de papier imbriqué dans la pierre, les vestiges de son malaise, puants, immondes. Un nouveau haut-le-coeur lui comprima les entrailles. La paume d'Ubis se posa contre sa nuque.

— Ça va aller. Respire doucement.

Elle ferma les yeux pour contempler le vide. Le froid, l'odeur, le liquide visqueux qui imprégnait ses vêtements, elle percevait tout, la craquelure du sang séché sur sa joue, les ecchymoses qui commençaient déjà à fleurir sur sa peau, le souffle d'Ubis, laborieux, son frisson sous sa poigne.

— Vous êtes blessé, réalisa-t-elle en se redressant.

Assis sur ses talons, il lui adressa un sourire, puis pressa la main contre son bras gauche, à hauteur du biceps. Sous son manteau, sa chemise avait pris une teinte plus sombre.

— Rien de grave. Je m'en occuperai plus tard.

Laura fut animée d'un long tremblement, qui sembla s'éterniser au-delà de la morsure de l'hiver.

— Nous ne pouvons pas rester ici, ajouta Ubis. Est-ce que tu es en état de conduire ?

Il me tutoie, songea Laura. Pourquoi est-ce qu'il me tutoie ?

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now