30. Encaisser

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De retour à la morgue, Laura termina son rapport sur le meurtre de Linda Belarez. À mi-parcours, alors qu'elle consignait les données concernant l'asphyxie, elle composa le numéro d'Ubis. Le téléphone passa immédiatement sur la messagerie. Après le signal sonore, elle demeura silencieuse ; les injures qu'elle avait voulu lui balancer, les menaces, les promesses, moururent sur ses lèvres, renvoyées à leur futilité.

— Ubis, vous êtes où, au juste ?

Ridicule.

Elle reprit son travail. La soirée allait être difficile ; il faudrait affronter Sam et ses supérieurs de la Société, négocier finement pour survivre à l'un comme aux autres. Elle n'était pas pressée.

Le téléphone fixe de la morgue, peu usité, sonna en fin de matinée et la standardiste – une étudiante réquisitionnée pour les vacances de Noël – lui transféra un appel de l'extérieur.

— Bonjour, annonça une voix féminine, polie. Je cherche à joindre le docteur Ubis.

Vous avez une semaine de retard, songea Laura.

— Je suis désolée, il est actuellement absent. Je suis sa collègue, le docteur Woodward.

Elle allait ajouter qu'elle n'avait aucune idée du moment où il reviendrait, s'il le faisait jamais, lorsqu'elle changea son fusil d'épaule.

— Je peux lui passer un message, si vous voulez.

Un soupir léger retentit au bout du fil.

— Oui, faisons ça. Je n'ai plus le temps de lui courir après.

Laura retint son souffle.

— Pardonnez-moi, tout ceci va sans doute vous paraître absurde mais... Est-ce que vous pouvez lui dire que mon père, William Willis, aimerait le voir dans les jours qui viennent ? Il est... sur son lit de mort, et c'est un peu... sa dernière volonté. Je sais qu'ils ne sont pas en très bons termes mais... peut-être pourrait-il avoir pitié d'un vieillard ? Je ne veux pas le faire culpabiliser mais je pense que c'est tout ce dont mon père a besoin pour enfin... se laisser aller... et vu son état... Ce serait plus que souhaitable. Pour tout le monde.

L'épuisement suintait dans ce ton si bien maîtrisé.

— Il se trouve dans le service d'oncologie de l'hôpital Saint George. Cinquième étage, chambre 503. Les visites ont lieu de 16 à 18 heures. C'est accessible tous les jours.

Un autre cancéreux.

La femme soupira.

— Désolée. Je vous déballe tout ça... Dites-lui juste... que j'apprécierais beaucoup. Maureen Willis. Je suppose qu'il se souvient de moi.

Laura s'en voulut de ne pas lui avoir dit qu'elle n'avait aucune idée de comment transmettre cet étrange message à son collègue – ex-collègue – mais c'était trop tard. La pauvre Maureen semblait avoir atteint ses limites.

— Je vais essayer de le joindre, dit Laura, sans s'avancer.

— Merci de votre aide, j'apprécie. Bonne fin de journée.

Laura raccrocha sur une ultime salutation et demeura interdite, ses quelques notes griffonnées sous les yeux. Car elle connaissait ce nom – William Willis – comme tout le monde à l'exception, peut-être, des moins de quinze ans. Explorateur, scientifique, personnalité du petit écran, philosophe, il faisait partie du paysage médiatique du pays depuis au moins une cinquantaine d'années. Il s'était fait plus rare ces derniers temps, sans doute à cause de son grand âge. Laura, de toute façon, lisait peu les journaux, ne regardait pas la télévision, et surfait rarement sur le web. Sauf pour le boulot, et Willis n'avait rien à voir avec son domaine.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)On viuen les histories. Descobreix ara