64. Orgueil et retombées

49 13 65
                                    


Laura aurait dû saisir cette opportunité pour agir, d'une manière ou d'une autre, mais la lassitude la frappa comme un vent mauvais et elle bascula sur le lit. Elle était consciente que la sensation lui était imposée, qu'on la forçait à l'abandon, à la passivité, mais elle ne trouvait aucun énergie en elle, aucun fil auquel se raccrocher pour s'extirper de cette gangue d'inertie.

Elle s'efforça de tempérer sa respiration hachée, de calmer les frissons qui parcouraient ses membres. Ses vêtements glacés lui collaient au corps mais s'en dépouiller relevait de l'impossible, elle ne savait même pas par où commencer. Elle succomba à la fatalité.

Les regrets étaient stériles : oui, elle aurait pu lâcher plus tôt, mais la mission qu'on lui avait confiée, par sa nature, l'avait projetée dans ce magma d'influences étrangères qu'elle n'avait jamais appris à gérer. Elle se demanda s'il y avait, quelque part à la Société, à la Fédération, une cellule qui connaissait l'existence de ces « autres », qui les étudiait, les traquait, collaborait peut-être avec certains et embauchait les plus prometteurs.

Pensées inutiles : si c'était le cas, c'était trop tard, et personne ne l'en avait avertie.

D'un geste pénible, elle posa une main sur son ventre, de l'utérus au foie, sans pouvoir réprimer les images douloureuses de ce qu'il s'était déjà produit et de ce qui se produirait sans doute bientôt. La terreur lui brouilla les yeux et lui coupa le souffle, la pénombre tourbillonna dans un vertige entrecoupé de hoquets.

Perdre connaissance et ne jamais se réveiller. Éviter d'affronter le pire, capituler, baisser les armes. Elle aspirait au silence, à l'oubli, mais, au fond du fond, malgré l'inévitable, elle ne voulait pas mourir. Pas de cette manière, à cause de ces monstres.

Il n'en était tout simplement pas question.

L'image de Sam, de sa superbe insolence, s'imposa dans son esprit pour la renvoyer dans un trou noir, d'impuissance et de désespoir. Il allait revenir pour jouer avec elle, comme il l'avait fait depuis le début sous ses dehors avenants. Avec des résultats qu'elle devinait bien plus sinistres. Même sans son masque, elle l'avait senti furieux, ivre d'une vengeance qu'il estimait méritée. Orgueilleux, il l'avait dit. Orgueilleux et en colère. Elle l'avait insulté.

Laura pressa des deux mains sur son coeur emballé, pour l'enjoindre au silence et à la modération. Quelque chose craqua légèrement sous sa paume, une feuille de papier rangée dans la poche intérieure de sa veste, le souvenir d'un passage à la bibliothèque.

L'étincelle se ralluma.

Les doigts engourdis par cette torpeur surnaturelle, Laura entrouvrit sa doudoune chargée de pluie et tâtonna dans les replis jusqu'à en extraire les quelques notes qu'elle avait griffonnées. Protégée par une rare étoffe imperméable, elles semblaient sèches, un miracle, mais il faisait bien trop noir pour les décrypter. Elle força sa mémoire mais les mots lui firent défaut. Substances, rituels, incantations, ce n'était pas comme si elle allait pouvoir improviser un exorcisme en restant paralysée sur son lit. Elle se tortilla cependant, gagnant centimètre après centimètre sur le matelas dénudé, jusqu'à atteindre le mur.

C'était le moment d'avoir de la chance. Rassemblant tout son courage, toute sa fureur, elle parvint à relever le bras et à poser la paume contre le crépi, Le mur était humide, l'enduit se désagrégea, mais Laura poursuivit sa quête, jusqu'à localiser le Graal : un interrupteur. Elle le pressa sans attendre et, miracle espéré, une ampoule nue s'alluma au plafond, révélant la chambre vide. Pas de fauteuil, ni d'armoire, de tapis, de table de chevet, juste un vaste lit.

L'horreur.

Pendant une seconde, elle se revit allongée sur d'autres draps, dans la lueur bleutée d'un aquarium. L'idée que Sam puisse avoir des intentions lubriques la révulsa et un haut-le-coeur mourut entre ses lèvres. Elle devait absolument trouver une issue.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Unde poveștirile trăiesc. Descoperă acum