44. Après la nuit

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(Ce chapitre ne me satisfait pas complètement, ça cause trop, mais on va le laisser en l'état pour l'heure...)

Quand Laura repéra le bol de soupe qui fumait devant elle, elle releva vivement la tête et croisa les prunelles noisette d'Aaron, assis de l'autre côté de la table, dans la cuisine du presbytère. Bras croisés sur sa chemise noire, il lui adressa un sourire doux, mais n'ouvrit pas la bouche.

— Quel jour sommes-nous ? demanda-t-elle, surprise.

Sa voix sortit comme un croassement rauque, imprécis ; elle posa une main vive sur sa gorge.

— Le six, répondit-il.

— Vraiment ?

Il hocha la tête tandis qu'elle se cachait le visage des mains.

— J'ai perdu deux jours... souffla-t-elle, atterrée.

— Ce n'est pas grave. L'important, c'est d'émerger.

Quelque chose de duveteux lui frôla la jambe et elle baissa les yeux sur Souci le chat, qui se glissait sous la table.

— Il est là, lui ?

— Nous sommes allés le chercher hier. Tu ne te souviens pas ?

— Pas vraiment, non.

Brume opaque sur les derniers jours. Était-il vraiment possible de s'égarer à ce point ?

— C'est gentil d'y avoir pensé, reprit-elle en flattant le félin du bout des doigts. Et de m'avoir accueillie.

Recueillie aurait été un meilleur mot, en l'occurence.

— Je n'aurais pas pu faire autrement, Laura.

Elle acquiesça, pinça les lèvres, retourna à son bol.

— Tu as prié pour moi ?

— Et pour l'âme de ton ami.

Une moue douloureuse lui crispa les traits.

— S'il y a bien quelqu'un qui n'en a pas besoin...

Jonathan était peut-être chrétien, elle n'en savait rien. Que c'était un saint, en revanche, elle n'en doutait pas.

— Si tu veux me parler de lui, n'hésite pas, proposa Aaron.

Laura secoua doucement la tête.

— Non. Je ne sais pas si ça me fera du bien.

— C'est toi qui décides. Je ne force rien.

Une seconde, la perte des derniers jours lui donna le vertige. Ubis, Celarghan, le Dévoreur de Foies, la morgue et ses patients, tous ces fils qui lui avaient échappé à cause d'un deuil absurde. Comment avait-elle pu se mettre dans un état pareil ? Elle ne pouvait pas se le permettre, pas maintenant !

— Je le connaissais à peine.

Cette excuse, encore. Peut-être que verbaliser les choses les remettrait à leur juste place.

— Mais... c'était un peu comme un symbole, je suppose. Je crois qu'il me donnait confiance en l'être humain. Quand on fait mon métier, ce n'est pas inutile, d'avoir une lumière à laquelle se raccrocher. Je n'ai jamais rencontré autant de bonté chez quelqu'un. Une bonté excessive, sans doute. Et je sais que je ne voyais de lui que ce qu'il voulait bien me montrer, que ma misanthropie le choquait, par contraste.

Elle sursauta comme le chat lui sautait sur les genoux.

— Peut-être qu'on ne peut pas vivre en étant aussi bienveillant... Peut-être qu'un jour, toujours, sûrement, le mal vous rattrape. Peut-être qu'il est mort parce qu'il ne pouvait pas exister. Parce qu'il avait tort. En tout cas...

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now