63. Le coût du mépris

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Laura fixa le journaliste sans comprendre. Comme il se contentait de descendre les escaliers, le sourire aux lèvres, d'un pas nonchalant, elle se tourna vers Jill. L'inspectrice n'avait pas bougé, debout avec ses sacs en plastique, silencieuse, le regard fixe.

— Jill, murmura Laura. Qu'est-ce qui se passe ?

Elle la secoua légèrement, d'une pression sur l'épaule, mais la jeune femme se contenta d'osciller mollement, sans répondre.

Alors la lumière fut, et avec elle, un brusque vent de panique envahit la légiste. Elle se tourna vivement vers la porte, essaya d'en ouvrir le battant mais elle rencontra une force invisible, qui empêcha la poignée de tourner, malgré toute la pression qu'elle y mit.

— Voyons, Laura, tu viens seulement d'arriver !

Elle fit volte-face. Sam s'était immobilisé à quelques mètres et lui décocha un sourire désarmant, qui évolua vers quelque chose de beaucoup plus sinistre. Jill demeurait immobile, comme déconnectée.

— Ne t'approche pas de moi ! aboya Laura.

Il croisa les bras. Il paraissait un peu plus grand, un peu plus carré, que dans son souvenir. Son costume noir, parfaitement coupé, lui donnait l'air d'un jeune entrepreneur branché. Ou d'un croquemort.

— Allons. Est-il utile que nous nous heurtions de la sorte ? Nous n'avons jamais pu...

— Je sais ce que tu es.

Elle s'en voulut à l'instant-même où les mots franchissaient ses lèvres.

— C'est un peu tard pour t'en inquiéter, remarqua-t-il sans émotion particulière.

Il se tourna vers Jill.

— Laisse-nous, tu veux ?

Il accompagna ses paroles d'un claquement de doigts et l'inspectrice s'exécuta sans se retourner, disparaissant dans un couloir voisin, avalée par la nuit. Laura la regarda partir avec une sensation d'abandon accrue. Elle se mordit la lèvre pour ne pas la rappeler. C'était inutile : Jill n'entendait plus rien.

— Tu l'as tuée ?

— Non. Juste possédée, pour l'instant. Une fois qu'ils sont morts, ils agissent vraiment n'importe comment. Et puis ils puent. Pas pratique.

Même s'il ne s'était pas approché, Laura sentait sa présence comme un cocon autour d'elle, le remugle invisible, brûlant, d'une aura malfaisante.

Une question insupportable naquit dans son esprit, dont elle ne voulait pas entendre la réponse, mais qu'elle devait, absolument, poser.

— Samuel Heath... Il n'a jamais existé ?

— Mais j'existe, Laura, j'existe ! Ah... Tu veux dire... Est-ce qu'il y a eu un Samuel Heath dont j'ai dévoré l'âme pour prendre possession de son corps ? De préférence, après que tu l'aies fréquenté de très près ?

Il secoua la tête, la mine désolée.

— Non. Je suis navré. Tu as couché avec le démon, et tu as aimé ça, il va falloir l'accepter.

Laura frémit comme son ventre se contractait d'épouvante. La nausée lui explosa dans la gorge, elle la réprima, comme le sanglot qui voulait s'échapper, comme le cri. Sam se détourna, fit quelques pas dans le hall abandonné, distrait.

— Je trouvais ça rigolo, Heath, pour la chaleur de l'enfer. Et puis Samuel est presque mon vrai nom. Dans le fond, Ubis a fait le même genre de jeux de mots douteux. Je suppose que même contraints à l'anonymat, nous avons besoin de revendiquer notre nature. Pas que les humains stupides y lisent quoi que ce soit, bien sûr, mais c'est un plaisir personnel. Un pied de nez à ceux qui nous traquent.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now