58. Le poids du savoir

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Deux chapitres, aujourd'hui...

***

Celarghan conseilla à Laura d'aller se changer car il doutait qu'on l'admette au restaurant en "pyjama" et elle s'exécuta rapidement. Son pragmatisme lui signala qu'elle aurait tout intérêt à repasser par son appartement pour récupérer d'autres vêtements, car il ne lui restait plus rien de propre. Elle eut du mal à l'envisager comme autre chose qu'un projet qui ne se réaliserait jamais.

Attablée, elle commanda un café noir et des toasts, consciente que rien d'autre ne survivrait longtemps à sa nausée.

— Que savez-vous, exactement ? demanda son compagnon.

— Rien. Il n'est jamais arrivé à Murmay. Je suis allée jusqu'à l'église, mais il n'y est pas retourné.

— Vous êtes blessée.

Laura ne s'était pas attendue à cette perspicacité, mais cela devait se voir dans sa posture. Même si elle n'avait pas été touchée au visage, elle arborait des bleus presque partout ailleurs. Sans compter que Celarghan percevait peut-être autre chose, un halo, un flux, un chant inaudible qui révélait son état de santé.

Peut-il deviner que je mens ? Comme une tache noire dans mon aura ?

— J'ai glissé sur une plaque de verglas devant l'église et je me suis ramassé les marches du parvis entre les côtes.

Pour faire bonne mesure, elle souleva son tee-shirt, exposant sa plus belle ecchymose, juste au dessus de la ceinture. Le visage de Celarghan se figea et elle réalisa qu'elle était en train de le choquer.

— Vous n'avez pas besoin de vous exhiber ici, gronda-t-il.

Elle lui décocha une grimace qu'elle espérait contrite, mais son coeur avait recommencé à battre la chamade. L'inspecteur – l'archange – détourna le regard et but une lampée de son thé, songeur.

— Avez-vous la moindre idée de l'endroit où il pourrait se trouver ?

— Peut-être dans sa famille, à Dunnes. Je comptais les appeler ce matin.

— Faites-le.

Elle acquiesça et il la dévisagea de son regard perçant. Il s'attendait à ce qu'elle le fasse dans l'instant, or elle n'avait plus de téléphone.

— Il est quatre heures du matin à Dunnes, lâcha-t-elle.

Celarghan fronça les sourcils.

— Et ? La vie de votre ami ne vaut-elle pas un réveil inopiné ?

— Je dois chercher leur numéro. Je ne connais même pas leur nom ! Et je ne trouve plus mon téléphone. J'ai dû le perdre dans le taxi.

L'inspecteur haussa les sourcils, manifestement atterré par la succession de tuiles.

— J'étais un peu... déstabilisée.

— Vous êtes agent spécial, Laura. Je n'aurais pas imaginé que vous pourriez... perdre votre sang froid de la sorte.

Je voudrais vous y voir, bordel !

Il avait raison, bien sûr. Elle aurait dû rester froide, détachée, rationnelle. Agir sans précipitation, sans angoisse. Mais c'était beaucoup trop tard, sa carapace était en miettes.

— Exposer un civil... Ce n'était pas mon intention. Vraiment pas. Je n'ai jamais pensé que les choses déraperaient de la sorte.

— Ça n'a peut-être rien à voir avec vous, tempéra son acolyte. Je suis allé, moi aussi, plusieurs fois dans cette église. Elle avait été profanée, déjà. Il est possible...

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now