28. Crise de foi(e)

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Quatre sonneries, le déclic, la voix désincarnée d'un médecin légiste porté disparu, suspect du meurtre d'une femme qu'il a quittée presque cinq ans plus tôt.

Qu'elle a quitté, selon ce qu'en racontent les techniciens, pas que ça change grand-chose au fait qu'elle repose désormais sur une table d'autopsie, le regard éteint et les tripes à l'air.

Les voisins l'ont vu.

La voix de Sorvet ne veut pas s'éteindre, se répète encore et encore dans la tête de Laura, comme le refrain d'une chanson populaire dont on n'arrive pas à se débarrasser.

Enfer.


C'était une chance que Paul ne soit plus là, car Laura n'aurait pas su quoi lui dire. Assise derrière le bureau où s'installait d'habitude Ubis, les poings serrés sur les orbites, elle se repassait les événements des derniers jours en boucle, à la recherche du moment où elle aurait dû comprendre que quelque chose allait déraper et agir.

— MERDE !

Il n'y avait rien d'autre à dire. Elle avait foiré dans les grandes longueurs. Elle avait su, depuis le début, qu'elle devait garder un oeil sur lui, et elle l'avait laissé endormir sa méfiance, avec son air de bon docteur et ses affres de mourant.

Était-il seulement malade ?

Elle n'était plus sûre de rien.

Elle devait, absolument, avertir ses supérieurs à la Société. Ils le sauraient, de toute façon. Les journaux en parleraient probablement dès le lendemain. Mais on lui retirerait le dossier, c'était certain. Elle avait laissé filer le suspect, alors qu'elle l'avait entre ses mains.

Son regard retourna à la femme allongée sous son drap mortuaire. Le décès remontait à la nuit précédente. Linda était morte par strangulation, avant d'être éviscérée sur le tapis. Moins douloureux que le contraire. Difficile de placer les relations sexuelles dans la chronologie, mais ce que Laura avait retiré du vagin de la victime ressemblait davantage à du pétrole qu'à du sperme. Deux tubes à essais étaient montés au laboratoire.

En cours de soirée, Jim Morrow, le troisième inspecteur de la Criminelle, était passé la voir. Il paraissait usé, mais moins perdu que Sorvet et moins hystérique que Jill. Il reprenait le dossier, voulait savoir si Laura se sentait capable de gérer. On pouvait transférer le corps ailleurs, si elle préférait éviter d'avoir à le superviser. Elle avait refusé. Elle ne connaissait pas Linda Belarez, et à peine mieux Ubis. Elle resterait objective, détachée, efficace. Morrow parut satisfait de sa petite comédie mais lui rappela qu'elle pouvait changer d'avis.

Dans ses rêves.

C'était devenu personnel. Trop personnel, sûrement, mais tant pis.

Elle lui avait confié les premiers éléments qu'elle avait relevés, la strangulation, le caractère méthodique – médical, professionnel – de l'ablation du foie, au scalpel, plus que probablement, la pénétration et son résidu inhabituel. Morrow s'était montré généreux en retour : Ubis était arrivé en début de soirée, avec des fleurs, il avait bavardé un moment avec le voisin du dessous, qu'il connaissait du temps où il fréquentait encore Linda. La voisine du quatrième savait qu'ils avaient rendez-vous pour leur traditionnel dîner de fin d'année, qu'ils organisaient malgré leur séparation. Linda était impatiente, pas le moindre nuage à l'horizon. Deux autres voisins et le propriétaire de la librairie voisine avaient vu partir Ubis au petit matin, pressé.

Ça n'avait aucun sens.

Laura se redressa sur sa chaise.

Pourquoi aurait-il agi de la sorte ? En laissant ses traces partout, comme s'il voulait – absolument – qu'on sache que c'était lui le coupable ?

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now