56. Une histoire d'antiquité

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Après quelques minutes rythmées par les injonctions monocordes d'Ubis, ils s'immobilisèrent devant un énorme bâtiment à l'escalier monumental, encadré de statues et de colonnes érodées par la pollution. Pas une seule lumière ne brillait à l'intérieur, de l'autre côté des grilles qui en barraient l'accès.

— On va laisser la voiture plus loin.

Ils se garèrent dans le parking couvert d'un supermarché voisin puis abandonnèrent le véhicule. Laura se demanda où Ubis l'avait trouvé, s'il l'avait volé, questions triviales. Elle refusa de songer à ce qu'un témoin penserait en découvrant le carnage dans l'habitacle. Aux empreintes sur le volant, les poignées des portières. Tout ça n'avait aucune importance car il ne s'était rien produit. Un simulacre, de la peinture, une explication rationnelle au-delà du cauchemar.

Ubis n'emporta que la trousse médicale. Ils revinrent sur leurs pas et longèrent le bâtiment imposant dans la nuit froide. Il semblait occuper tout le bloc et dressait son architecture classique sur trois étages.

— C'est le Musée d'Histoire, expliqua Ubis.

— Pourquoi venons-nous ici ?

— Parce que Michael ne peut pas m'y trouver.

— Pourquoi ?

— Parce qu'il y a trop d'objets qui portent la trace d'anciens cultes. Mon pas s'y perd.

Il s'était immobilisé dans un renfoncement du mur et, d'un geste sec, il dégagea l'ouverture d'un soupirail.

— Pas bien fermé, commenta Laura.

— Ce n'est pas la première fois que je passe par ici.

Il lui fit signe de s'y glisser. Elle baissa la tête et jeta un œil à l'intérieur.

— On n'y voit rien.

— Descends prudemment, il y a une table juste sous l'ouverture. Je te guiderai une fois dedans.

— Parce que toi, tu vois dans le noir, c'est ça ?

— Oui.

— Comme ça tombe bien.

Elle se glissa dans le trou, rencontra rapidement le bois sous ses semelles, puis descendit au sol. Ubis arriva ensuite et replaça la grille derrière lui. Il faisait nuit noire, sombre et sec, et Laura n'aurait pu dire si les murs étaient lointains ou proches, s'il y avait une porte, un meuble, des marches d'escalier s'enfonçant vers les caves ou grimpant vers un étage. Seule la lumière faiblarde de la rue brisait les ténèbres, mais elle n'éclairait qu'un minuscule carré de sol poussiéreux juste sous le soupirail. Une main prit la sienne.

— Par ici.

Sans se faire prier, Laura emboîta le pas à son guide. Le fantasme ne cessait de s'amplifier : elle marchait désormais avec un ancien dieu dans un labyrinthe de couloirs invisibles, sous un musée endormi. Elle guetta le Minotaure au coin d'une allée, ou bien un dragon fulminant, une armée de squelettes. Son pied aveugle buta une fois, deux fois, contre des objets, ce qui rendit le monde un peu plus tangible. Laura continuait à penser que le couloir déboucherait sur les rives d'un fleuve où errerait un chien à trois têtes, un château transparent posé sur un lac de glace, le sommet d'un arbre entouré de brume.

Celarghan les attendrait, et jouerait aux échecs contre Ubis. Celarghan avec les blancs, Ubis avec les noirs. Le perdant disparaîtrait en fumée.

— Attention, ici il y a une dizaine de marches.

Ils grimpèrent puis Ubis poussa une porte qui s'ouvrit dans un souffle sur une vaste salle. Gigantesque, voûtée, elle était coiffée d'une verrière translucide, assombrie par la nuit.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now