45. Autour d'une salade

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Laura s'empêcha de penser à quoi que ce soit d'autre que les urgences. Première étape, la morgue abandonnée, puis localiser Celarghan. Elle lui envoya un texto laconique (« Je suis de retour. Où êtes-vous ? ») depuis le siège arrière du taxi, puis s'employa à tempérer l'émotion mauvaise qui lui crispait les entrailles en lisant rapidement les dernières nouvelles sur Internet.

Mais quand elle atteignit l'Institut et son repaire souterrain, elle découvrit un intrus penché sur une des tables d'autopsie, en tablier blanc, le scalpel entre les doigts. Une bouffée de stupéfaction coléreuse l'envahit aussitôt, jusqu'à ce qu'elle se souvienne de la manière dont Ubis l'avait accueillie, deux mois plus tôt. Perturbée par cet étrange écho, elle laissa la porte claquer dans son dos et l'étranger releva les yeux. Blond vénitien, la jeune trentaine, un visage androgyne maculé de taches de rousseur derrière son masque, elle le reconnut tout de suite.

— Docteur Woodward, la salua-t-il d'un geste de tête.

— Docteur Eberhart. C'est inattendu.

Le jeune homme reposa son instrument.

— Je ne pensais pas que vous vous souviendriez de moi, remarqua-t-il.

— Vous êtes trop modeste.

Ils s'étaient croisés à la morgue hospitalière de Neffen, quatre ans plus tôt, alors qu'il était encore assistant et que Laura enquêtait sur les pratiques douteuses d'une société pharmaceutique. Il savait ce qu'elle était.

— Ils ont fait vite, remarqua Laura. Mais c'est mieux.

Eberhart haussa les épaules, embarrassé.

— Il n'y avait plus personne, c'était un peu la panique. Mais je ne sais pas si je vous remplace vous, ou le docteur Ubis.

— Les deux, à mon avis.

Pour un temps, en tout cas. Il lui faudrait du renfort.

— Vous êtes loin de chez vous, reprit-elle.

— D'un océan à l'autre. Ça me suffit.

Moins le soleil, songea-t-elle.

— Vous savez ce qui a été annoncé aux collaborateurs de l'Institut ?

— J'ai prévenu l'assistant que vous aviez décidé de rentrer à Murmay à plus ou moins court terme, et l'équipe criminalistique a été avertie par d'autres canaux.

— Comment Paul a-t-il réagi ?

— Avec... stupéfaction, je dirais. Vous voudrez peut-être lui parler, il devrait arriver dans l'après-midi.

Sûrement pas aujourd'hui, songea Laura.

— J'y penserai.

Son portable vibra et elle lut la réponse de Celarghan.

Je suis devant l'Institut. Je vous attends.

Est-ce qu'il l'avait guettée ?

Trois minutes, répondit-elle.

Laura jeta un regard circulaire sur la pièce, les tables, les frigos, les bureaux. Cette parenthèse était en train de se refermer, une de plus. Elle devrait revenir, sûrement, régler de la paperasse, finaliser des dossiers. Mais, là aussi, pas aujourd'hui. Le nouveau seigneur de la morgue pouvait gérer, elle lui faisait entièrement confiance, et elle devait en profiter. Déjà, elle posait la main sur la poignée de la porte.

— Avant de partir, l'interpella Eberhart. Vous avez du courrier. Pas seulement interne, j'ai l'impression.

Du menton, il lui indiqua une pile posée sur l'un des bureaux. Un paquet emballé dans du papier kraft dénotait sur les enveloppes ordinaires. Tandis que le nouveau venu reprenait son travail, Laura se coula sur une chaise et effectua un rapide tri. Des publicités professionnelles sans importance, des résultats d'analyse dont le double se trouvait sur le réseau et qu'on continuait malgré tout à imprimer, l'autorisation d'exhumer dont elle n'aurait sans doute pas besoin. De la taille et de la consistance d'un gros livre, le colis avait été enrubanné par une quantité impressionnante de ruban adhésif, qui rendait son ouverture périlleuse. Aucun nom d'expéditeur n'y figurait. Laura vérifia qu'il lui était bien adressé, et non à Ubis. Seul son nom était mentionné, cela dit : on s'était manifestement déplacé pour le lui apporter.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now