57. Effacer ses traces

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Sous le jet brûlant de la douche, Laura trembla de froid, un froid pénétrant, monstrueux, dont elle ne parvint pas à se guérir. Elle pressa la main contre sa bouche pour empêcher tout son de sortir, hurlement, éclat de rire, sanglot, consciente qu'Ubis la guettait et que, à la moindre alerte, il surgirait dans la cabine pour lui venir en aide.

Dans les circonstances, franchement, ce serait l'humiliation de trop. Elle ne pouvait pas craquer.

Une fois propre, elle attrapa les vêtements qu'il lui avait dénichés aux objets trouvés. Un pantalon de sport peu seyant, un tee-shirt au logo publicitaire, un sweatshirt universitaire, et une doudoune argentée. Mieux valait ne pas songer à ceux qui les avaient portés précédemment ; Laura se félicita que ses sous-vêtements aient survécu à l'assaut.

Ubis attendait sur un des bancs du vestiaire, coudes sur les genoux, tranquille. Pour lui, bien sûr, absolument rien n'avait changé. Il l'accueillit d'un sourire, qu'elle ne lui rendit pas.

— Tu as déjà meilleure mine, annonça-t-il, magnanime.

Les miroirs au-dessus des lavabos lui renvoyèrent l'image d'une femme blafarde, cernée, engoncée dans des habits qui ne lui appartenaient manifestement pas. Celarghan ne s'en rendrait pas compte, Laura le savait. Face à l'expression hantée de son visage, elle pressa sur ses paupières, comme si cela pouvait atténuer l'ouverture excessive de ses yeux hallucinés.

C'est trop, songea-t-elle, dans un semblant de brume.

La douche ne l'avait pas délivrée.

Ubis se leva et lui ouvrit galamment la porte. Ils regagnèrent le couloir puis, pas à pas, la salle égyptienne. Ils ne s'y arrêtèrent pas et poursuivirent vers le dédale souterrain,   le soupirail et la rue. Laura fut contrainte de prendre la main de son compagnon, de supporter son soutien.

Brusquement, au milieu de rien, elle pila comme un cheval rétif devant l'obstacle.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Ubis, avec une insupportable indulgence.

— Aaron. Où est Aaron ? Qui étaient ces hommes, dans l'église ? Des anges ?

Le légiste – le dieu – poussa un profond soupir.

— Non. Ils obéissent... à celui que tu appelles le Dévoreur de Foies.

— Le Dévo...

Elle sentit ses genoux plier sous son poids, Ubis la rattrapa d'un mouvement souple. La vision d'Aaron, éventré, flottant dans le Tren, s'imposa dans son esprit sans qu'elle puisse s'en défendre. Sur la table d'autopsie. Aussi livide, froid, mort, que Jonathan.

— Aaron, c'est ton ami curé ? demanda Ubis.

Laura ne parvint pas à répondre, l'esprit captif d'un kaléidoscope monstrueux, à deux doigts de sombrer dans les ténèbres.

— Laura, s'ils l'avaient attrapé, ils ne seraient pas venus à l'église.

Elle papillonna des yeux mais autour d'elle, tout était noir, irrémédiablement noir.

— Écoute-moi. Il est fatalement ailleurs. Ils ne l'ont pas trouvé.

Elle reprit pied, les doigts serrés sur le revers de sa chemise. Elle percevait son souffle, un vent du désert lointain, un reflet rouge dans ses iris argentées.

Laura réalisa qu'elle avait cru que les zombies en avaient après elle. Elle n'avait pas songé qu'ils puissent en avoir après lui.

— Pou... Pourquoi ?

— Ce serait trop long à t'expliquer. Le Dévoreur de Foies a des raisons personnelles de vouloir s'en prendre à ton ami. Mais si Michael l'attrape... et c'est mon espoir, qu'il se charge de lui avant qu'il ne se charge de moi... Ton ami sera en sécurité.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now