9. L'antre du loup

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Le taxi les mena dans le quartier de l'Université. Ubis avait essayé de la convaincre de l'abandonner au chauffeur, mais elle avait refusé et il n'avait pas lutté longtemps. Il semblait sur le point de faire une nouvelle crise, et elle se félicita d'avoir emporté une serviette en cas de débordement.

Le véhicule s'immobilisa devant une élégante bâtisse à l'architecture victorienne, un vrai petit manoir pourvu d'une tour, d'un toit pentu, d'un balcon en fer forgé et d'un porche à colonnades. Anciennement bleue, la maison était désormais grise, et les briques tenaient peut-être davantage grâce au lierre qu'au mortier. Au-delà du portail, un chemin de pierres envahi par les hautes herbes serpentait vers les marches du perron. Laura tenta de dissimuler sa surprise, mais Ubis avait repris du poil de la bête et il lui ouvrit la grille avec une grimace.

— Manque d'entretien, je sais.

— Vous avez sûrement les moyens de vous payer un jardinier, non ?

— Et un maçon, un ardoisier, un menuisier, un peintre... Oui, je devrais m'en occuper. Mais je pense que je vais plutôt vendre. Jill n'aime pas la maison.

Il fallut une seconde à Laura pour replacer le personnage. Jill. L'inspectrice Haybel. Bien sûr.

Ubis la suivit dans le jardin sauvage, puis la doubla dans l'escalier.

— Vous aimez les chats ? demanda-t-il en introduisant la clé dans la serrure.

— J'en ai un. En avais un. Je l'ai laissé à Murmay.

Bravo l'impair, songea-t-elle.

Il la dévisagea, sourcils froncés, et ouvrit la porte.

— Je vivais à la campagne. Il n'aurait pas supporté.

La porte s'ouvrit sur un hall aux carreaux fleuris, gris bleu noir, très élégants. À deux mètres du paillasson, en revanche, un capharnaüm d'étagères de guingois semblait former un passage couvert, constitué de livres, de caisses, de bibelots divers, statuettes et cailloux, un buste de phrénologie, un microscope cuivré, un globe terrestre aux couleurs passées. Laura écarquilla les yeux, déjà décidée à reculer avant l'effondrement.

— Le bureau du fond, en fait, c'est tout vous.

Le contraste entre la morgue immaculée et ce foutoir était tout simplement stupéfiant.

— Tout tient très bien, et il y a une logique. Mais nous allons passer par ici.

Il ouvrit une porte juste à droite de l'entrée et la précéda dans un vaste salon au mobilier disparate. Une télévision à écran plat faisait face à deux divans au cuir noir usé, la table basse de bois précieux accueillait une collection variée de magazines et de livres, le tapis aux motifs abstraits contrastait avec les peintures à l'huile qui ornaient les murs dans leurs cadres dorés. Une ribambelle de photos en noir et blanc courait sur l'impressionnant manteau en marbre de la cheminée, entre un assemblage de bougies neuves, un éléphant en jade et un bronze qui représentait une jeune femme pieds nus en tenue de bain d'un siècle passé. Laura ne fut pas surprise de découvrir que le lustre était en papier dans ce salon étrange, mais en crystal au-dessus de l'antique table en chêne qui occupait la seconde partie de la pièce. Les chaises, choses étonnantes, étaient toutes identiques.

C'était, il n'y avait pas d'autre mot, un sacré bazar.

Elle ne put s'empêcher de sourire : Ubis n'avait vraiment aucun sens de l'aménagement d'intérieur. Un peu comme elle, en somme. Mais là où elle optait pour le fonctionnel de marque nordique ou l'opportunisme d'un vide-greniers voisin, il semblait avoir collecté un certain nombre d'objets désaccordés. Car il y avait de l'intention, là-dessous, elle en était persuadée. Elle se demanda alors si c'était la maison, que Jill n'aimait pas, ou ce qu'Ubis y avait entreposé.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now