10. Proposition intéressée

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Comme Laura fixait ses pieds, elle ne vit pas l'intrus approcher. Elle prit conscience de sa présence quand ses chaussures s'encadrèrent dans son champ de vision — noires, lacées – et que la pluie cessa brutalement de lui tremper la tête. Elle regarda d'abord le parapluie, puis son propriétaire, qui lui décocha un sourire interdit, teinté d'humour mais aussi d'une ombre de souci.

— Docteur Woodward. Je vous attendais mais je pensais que vous arriveriez de l'intérieur.

Samuel Heath inclina la tête sur une question non formulée, tandis que Laura serrait les lèvres sur un demi-millier de jurons imagés. Vêtu de son duffel coat rouge vif, il portait toujours un trois pièces élégant en dessous. Le contraste ne manquait pas d'un certain charme.

— Vous êtes trempée. Est-ce que tout va bien ?

Elle n'osait pas imaginer à quoi elle devait ressembler, miséreuse, les cheveux filasses collés au visage, et le pantalon marbré. Elle n'avait même pas songé à relever son capuchon.

— Je n'ai pas trouvé de taxi.

Il haussa un sourcil théâtral, sans se départir de son sourire.

— Vous me cherchiez ? continua-t-elle, avant qu'il ne puisse ajouter quelque chose.

— Oui. Pour ne rien vous cacher, j'avais espéré un appel, un message... et comme rien n'est venu, et que je suis persévérant...

— Je ne passerai pas à la télé, Monsieur Heath, je vous l'ai dit.

— Pourquoi ne pas écouter ma proposition, avant de décider ?

— Et on m'a mise en garde contre vous.

Son sourire s'effaça.

— Le docteur Ubis, je parie.

Elle hocha la tête.

— Il a l'air d'avoir une opinion très tranchée vous concernant.

— C'est peu de le dire. Et je suppose que vous allez prêter foi à ses calomnies.

Elle ne répondit pas tout de suite, le jaugeant. Il ne paraissait pas furieux, juste déçu, mais ne semblait pas davantage prêt à renoncer.

— Elles sont fondées ?

— Vous me posez la question, à moi ? Bien sûr que non ! Mais je vous raconterai la petite histoire, si vous le voulez... Autour d'un bon repas ?

Il plaçait ses pions, avec un aplomb stupéfiant. Le journaliste avait manifestement l'habitude qu'on lui résiste, mais aussi de remporter la partie.

— Je suis trempée, vous l'avez dit vous-même.

— Je mettrai le chauffage des sièges dans la voiture. Vous serez sèche en moins de dix minutes.

Refuse, refuse, refuse, songea-t-elle. Refuse.

— Je dois aller fermer la morgue.

Ranger un dossier compromettant que j'ai abandonné sous une pile de radiographies.

— Je peux attendre, dit-il avec un haussement d'épaules.

Elle se demanda depuis combien de temps, déjà, il campait à l'entrée de l'Institut.

— Je suis de garde. Nous pourrions être dérangés à tout moment.

— Je suis prêt à prendre le risque. Le jeu en vaut la chandelle.

Elle passa les mains sur son visage, décontenancée par ce qui ressemblait à un compliment glissé l'air de rien. C'était du grand n'importe quoi, bien sûr. Il n'aurait pas dépareillé en couverture d'un magazine de mode, elle avait des airs de chien mouillé. Il était évidemment intéressé... mais dans le fond, elle aussi. Elle avait besoin, d'urgence, de se changer les idées.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now