19. Joyeux Noël

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— Woodward, vous êtes avec moi ?

Laura résista au réflexe de se frotter les yeux du bout des doigts – ses gants étaient couverts de sang – et elle se contenta de se redresser, un sourire embrumé sur les traits. Il était onze heures du matin, un 24 décembre, dans la morgue de New Tren. La veille, Laura avait terminé la soirée chez Sam et elle n'avait pas beaucoup dormi. Encore perdue dans les limbes de la félicité, elle n'avait pas entendu son collègue entrer. Bras croisés devant elle, le docteur Ubis sourit, goguenard. Il avait l'air étrangement reposé.

— Vous avez une tête de zombie, Woodward.

— Je me suis levée, moi. Vous avez deux heures de retard et nous avons trois corps de plus. Joyeux Noël !

— Techniquement, Noël, c'est demain, répondit-il d'une voix docte.

Laura essaya de dissiper sa brume de fatigue et de bonne humeur à la force seule de sa volonté, puis renonça. Pourquoi ne pas profiter des endorphines tant qu'il en restait ?


La journée se déroula dans une ambiance un peu irréelle. Ubis paraissait en forme et serein, malgré un visage plus contrasté que jamais. Laura, bien qu'absorbée par son travail, ne put s'empêcher de l'observer avec une certaine inquiétude. Cette débauche d'énergie semblait surfaite, comme un instant de répit avant la tempête, une étrange amélioration avant la chute. Il finit bien évidemment par remarquer son manège et il se campa contre sa table, bras croisés.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, Woodward. Tout va bien, je ne suis pas mourant.

— Vous l'étiez hier, vous me pardonnerez mon souci.

— Peut-être mes cellules ont-elles décidé d'adhérer à la trêve de Noël.

— Je ne les pense pas à ce point sentimentales.

— Moi non plus, heureusement.

Laura secoua la tête avec un rire bref.

— Vous avez des projets pour la soirée ? demanda-t-il en retournant à son patient.

­— Figurez-vous que je vais à une messe de minuit.

— Vous ?!

— Je n'ai pas l'air d'une bonne petite catholique ?

— Je n'ai pas connu beaucoup de légistes pratiquants, je dois bien l'avouer... mais pourquoi pas, après tout.

— C'est pour faire plaisir à un ami.

— Vous êtes généreuse. Vous verrez, c'est d'un rasoir absolu.

— Je me doute mais... mon ami, c'est justement le curé.

Ubis s'arrêta un instant et la dévisagea au travers de ses lunettes de protection.

— Original, offrit-il, sobrement.

— Ne vous imaginez pas n'importe quoi, Ubis.

Il se redressa et posa son scalpel, l'expression soudain sérieuse. Il leva une main et allait parler, lorsque Jill déboucha dans leur repaire. Elle portait un horrible uniforme, mais qui lui allait plutôt bien, comme toujours.

— Al – Docteur Woodward – Allan. Est-ce qu'on peut se voir plutôt plus tard dans l'aprèm sur le cas de Restwick ? Julien vient de se prendre une balle dans le bras et il est à l'hosto, et je dois le remplacer dans tout un tas de trucs maintenant. Mais vers cinq heures, j'aurai plus de temps.

Elle esquissa un geste d'agacement, mains écartées en griffes, comme si elle s'apprêtait à étrangler quelqu'un.

— Bordel, le jour du réveillon... Ce mariole se fait tirer dessus !

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now