33. Des intrus dans la morgue

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Laura chemina vers la morgue en surveillant ses arrières, davantage par crainte de rencontrer un journaliste éconduit qu'un médecin légiste meurtrier. Une pluie glaciale trempait les trottoirs et chassait les passants, remplissait les caniveaux et grisait le monde. La jeune femme ne croisa personne.

Une fois rendue, en l'absence de cadavres, elle entreprit de régler des problèmes administratifs, de procéder à un inventaire des fournitures de base et de valider les rapports d'autopsie en attente d'analyses, qu'elle avait toujours tendance à laisser en suspens. Comme la plupart des techniciens étaient en vacances, de nombreux résultats restaient indisponibles et Laura finit par se replier dans son bureau obscur pour y remplir les papiers de demande d'exhumation.

Vu la période, il faudrait bien attendre le 3 ou le 4 janvier pour que les choses se débloquent, mais autant mettre la machine en branle sans tarder. Désormais seule en son royaume, elle se permit d'étaler les dossiers des victimes du Dévoreur sur son bureau, pour réfléchir à laquelle choisir. La logique recommandait d'opter pour la plus fraîche mais la troisième victime, la prostituée, avait l'avantage d'être une femme, comme Linda, avec des parallèles peut-être plus faciles à mettre en évidence. Après de menues hésitations, Laura compléta deux formulaires. Autant y aller franchement.

Elle était en train de se détruire la rétine sur les dernières petites cases lorsqu'elle entendit quelqu'un entrer dans la morgue, au loin. Le visiteur finirait par se manifester s'il avait besoin d'aide, aussi poursuivit-elle son travail. Quand les pas atteignirent finalement son bureau, elle leva les yeux et aperçut un inconnu posté dans l'embrasure de la porte.

La trentaine passée, grand, il dissimulait maladroitement une carrure d'athlète sous une chemise rouge trop ajustée, dont les boutons semblaient sur le point de sauter. Ses cheveux châtains, presque longs, cascadaient en boucles sur les épaules carrées de son costume gris perle. Original.

— Je peux vous aider ? lui demanda-t-elle, lorsqu'il apparut qu'il allait rester planté là sans dire un mot.

— Je ne sais pas. On m'a dit que je pourrais trouver le docteur Woodward ici quelque part.

Il produisit mécaniquement un badge, le triangle de la Fédération.

— Je suis l'inspecteur Celarghan. Je suis en charge du dossier Ubis.

— Et on dirait bien que je dois être le docteur Woodward.

Le nouveau venu ne put dissimuler sa surprise.

— Ah. Vous êtes une femme.

Laura leva un sourcil.

— Ben voyons. Ça faisait un bail, maugréa-t-elle, ignorant s'il fallait s'en offusquer ou en rire.

Il ne releva rien.

— Je n'irai pas par quatre chemins, mademoiselle–

— Vous pouvez dire docteur, si vous voulez, l'interrompit-elle, frappée par sa condescendance.

— Docteur, reprit-il sans se vexer. Je dois retrouver ce monstre, et vous devez m'aider si vous le pouvez. Il en va de la sécurité de vos compatriotes.

— Monstre ? Vous allez un peu vite en besogne, il me semble. Vous êtes censé appréhender un suspect, non ?

— Ça fait un certain temps que je suis sur son cas, mademoiselle Woodward. Faites-moi confiance, je sais de quoi je parle.

— Docteur.

— Docteur ?

— Docteur Woodward.

— Je sais que vous êtes le docteur Woodward. Vous me l'avez dit.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Место, где живут истории. Откройте их для себя