67. Intervention humaine

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Les plumes de l'archange reposaient, froissées, au creux de ses paumes, et Laura les glissa dans la poche de son pantalon, comme un talisman pour la prémunir de l'influence des lieux. Ensuite elle se leva, légère, emplie d'une énergie qu'elle ne possédait pas dix minutes plus tôt.

Rassérénée. Prête à en découdre.

Elle libéra sa fébrilité en effectuant quelques mouvements de gymnastique le long du lit, dénoua les muscles de ses épaules, de ses jambes, sans se soucier des élancements, des ecchymoses, de toutes ces vexations physiques sans importance, même celles qui lui déchiraient toujours les tripes, et dont elle ne voulait plus jamais entendre parler.

Il suffisait d'attendre : Michael se déplaçait probablement à la vitesse de l'éclair, il serait là dans la minute, fracasserait tout sur son passage, trancherait la tête de Sam – il le méritait tellement, ce salopard – puis la délivrerait. Tout se terminerait bien pour les gentils. Fin de l'histoire.

Une longue minute, quand même.

Ubis l'avait-il emmené à l'autre bout de la ville, ou même au-delà ? Michael l'avait-il rattrapé, pas encore, était-il en train de décider de ses priorités ? Laura ne savait pas s'il avait perçu l'ampleur du désastre, l'urgence de son intervention... mais elle était forcée d'admettre que la survie d'un seul être humain ne valait sans doute pas, dans son système de valeurs, qu'il abandonne sa traque.

La minute en devint dix. Au travers des volets de la fenêtre close, Laura devina que le jour était en passe de se lever. Sa communion céleste avait duré beaucoup plus longtemps qu'elle ne l'avait imaginé, sans doute des heures, c'était une chance que Sam ne soit pas revenu dans l'intervalle. Une chance aussi qu'il n'ait pas pu percevoir cet échange.

En espérant qu'il ne l'ait pas perçu.

L'étendue de ce qu'elle ne savait pas à leur sujet s'ouvrait comme un trou noir à la lisière de sa conscience, et elle ne voulait pas prendre le risque de l'étudier de plus près. Tout semblait possible ; elle aurait voulu que rien ne le soit.

Sauf l'arrivée immédiate de son Angelus ex Machina.

Du bruit à l'extérieur de la pièce la ramena vers la porte et elle posa l'oreille sur le bois, aux aguets. On marchait dans le couloir, mais sans se presser, des pas à moitié amortis par les lambeaux de moquette. Elle se raidit en songeant qu'il pouvait s'agir de Sam, mais elle avait l'impression qu'elle aurait perçu son approche, comme le retour d'un carcan pestilentiel.

— Avance !

L'aboiement d'une voix masculine, toute proche. Plusieurs personnes passèrent devant sa porte, continuèrent leur route, puis un choc sourd, soudain, ébranla la pièce. Quelque chose de lourd avait heurté le mur, à quelques mètres seulement.

— Mais quel con, aboya à nouveau l'intrus. Relève-toi !

Le prisonnier – car il y avait fatalement quelqu'un, soumis à ces injures – ne répondit absolument rien. Pas un mot, pas une plainte, le silence.

— RE - LÈ - VE - TOI !

Des bruits sourds, étouffés par les planches mais pas seulement.

— Tape pas trop fort, remarqua une seconde voix, moins forte, blasée, mais tout à fait audible.

Laura n'attendit pas la suite. Elle retourna vers le lit, renversa le matelas et en deux coups de talon bien placés, elle décrocha l'une des lattes du sommier. Elle testa la poignée de la porte par principe, mais ne sourcilla guère lorsqu'il lui fallut attaquer la serrure du pied. Ces maisons modernes étaient construites en carton, de toute façon, et le contreplaqué ne résista pas longtemps à l'assaut.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant