6. Rencontres contrastées

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— Franchement, Ubis, vous devriez aller voir un médecin.

— Je suis médecin.

— J'oubliais. Vos patients recommandent vos services.

Dans le dos de Laura, Paul, l'assistant, étouffa un rire dans le stérilisateur. Ubis, qui terminait de dissimuler sa quinte de toux dans le creux de son coude, décocha un regard noir à ses omoplates. Peut-être était-il dépité de la facilité avec laquelle l'étudiant avait adopté la nouvelle venue, mais tant pis pour lui. Laura avait parfois des soucis avec ses supérieurs, mais très rarement avec ceux qu'elle supervisait.

— C'est chronique, grommela le résident. Pas contagieux. Fichez-moi la paix.

Laura haussa les épaules et en revint à son rapport. Elle avait renoncé à ranger son futur bureau pour installer son ordinateur portable directement dans la salle principale. Il y avait un peu de passage, des policiers, des techniciens, ses collègues, et il fallait s'habituer aux ombres des curieux qui marchaient sur les dalles du plafond, mais c'était un poste d'observation riche en enseignements. Un petit couloir voisin des frigos menait à la pièce accessible au public, où avaient lieu les identifications, mais jusqu'ici, seul Ubis s'en était chargé.

L'ambiance était bonne, Laura ne pouvait pas le nier. Ubis avait des côtés grognons mais ne manquait pas d'humour, Paul était bavard comme une pie. S'il se contenait en présence de son maître de stage, il se lâchait dès qu'il s'absentait, que ce soit pour la demi-journée, une heure ou juste une visite aux sanitaires. Une mine d'informations potentielle, mais Laura n'avait pas l'intention d'y puiser n'importe comment. Il avait suffi de quelques paroles échangées pour qu'elle comprenne qu'il adulait Ubis. Mais il parlait sans réfléchir, une fois qu'il était lancé.

La poitrine du résident émit à nouveau un vacarme de mauvais augure. Laura leva les yeux, croisa son regard tendu, et reprit sa rédaction sans rien dire. Le dossier ne faisait pas mention d'une maladie quelconque, sans doute avait-on estimé que la chose était triviale, même si elle était impressionnante. Ubis prétendait l'affaire ancienne, mais Laura avait bien remarqué que l'inspectrice Haybel – qui semblait débarquer trois fois par jour pour des motifs divers – s'en inquiétait également. Elle avait même suggéré à « son loup » de prendre quelques semaines de congé, à présent qu'il avait une « nouvelle assistante ». Il avait heureusement refusé avec mauvaise humeur, au grand soulagement de Laura : surveiller un suspect en vacances était plutôt compliqué.

Le téléphone de garde, posé sur son socle, se mit à sonner. Laura décrocha la première, Ubis avait encore les mains à l'intérieur d'un thorax.


Quelques instants plus tard, Laura montait à l'avant de la deuxième camionnette de l'équipe criminalistique, avec Josh, le chef d'équipe. Ancien chimiste, le quinquagénaire déblatérait des horreurs avec un aplomb stupéfiant. Quand la jeune femme s'en était inquiétée, il lui avait expliqué qu'il devait se vider le crâne avant de rentrer auprès de son épouse et de ses trois enfants, sous peine de drame.

Dans le véhicule qui les précédait, elle le savait, se trouvaient Marsha et Sidney, les techniciens attitrés des descentes de jour, ainsi que Paul, qui avait obtenu le droit de les accompagner. Ils cheminèrent un moment dans la circulation de la fin de matinée, puis se rangèrent devant un immeuble désaffecté. Plusieurs voitures de police étaient garées à moitié sur le trottoir et un attroupement d'une dizaine de personnes, la plupart en uniforme, mais certaines en guenilles, encombrait le porche.

— Quel est ton degré de tolérance des inspecteurs prétentieux et un peu machos ? demanda Josh en tirant le frein à main.

— Nul.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now