37. L'antre du loup, en bonne compagnie

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Celarghan conduisit, concentré sur la route, sans piper un mot. Il découvrait la ville, mais il n'eut pas besoin d'être guidé pour trouver son chemin. Pendant le trajet, Laura songea à lui parler de l'appel qu'elle avait reçu pendant la nuit, mais quelque chose l'en empêcha. Il leur restait encore à définir le cadre de leur collaboration et elle pressentait que la tâche allait être difficile. L'inspecteur gara son véhicule, un SUV de petite taille, juste devant le pseudo-manoir et le détailla un instant.

— Cette demeure ressemble au mal qui l'habite, murmura-t-il.

— Ça commence bien, siffla Laura à mi-voix avant de se glisser à l'extérieur.

C'était un peu ironique de pouvoir pénétrer légalement dans une maison sous scellés dans laquelle on s'était introduit par effraction quelques jours plus tôt.

Mais c'était l'année précédente, maintenant j'ai pris la bonne résolution de rester sur le droit chemin, songea Laura dans un sourire.

Avec bonheur, elle se faufila sous les bandes jaune et noir qui entravaient sa progression, et poussa la porte. Elle se retourna pour accueillir son collègue mais il lorgnait toujours la façade, les pieds dans les hautes herbes, pensif. Puisqu'il avait l'air de jouer les esthètes, elle l'abandonna à sa contemplation pour redécouvrir le repaire du suspect. C'était stupide, elle aurait mille fois préféré traîner chez Linda Belarez, à la recherche de signes discrets trahissant la présence d'une troisième personne dans l'appartement. Celarghan, lui, n'avait de doutes sur rien. Il venait chercher Ubis et c'était tout. Un vieux dossier. Le mal qui l'habite. D'où sortait-il, au juste ?

Il entra derrière elle et alluma l'interrupteur. La lumière vacillante du lustre bleuté révéla les grandes étagères couvertes de livres poussiéreux et de bibelots variés.

— Bien. Au travail, décréta le Fédéré sans s'émouvoir.

Laura haussa les épaules mais Celarghan ne bougea pas. Complètement absorbé, l'inspecteur scruta les moulures du plafond, les yeux mi-clos, le buste bien droit. Laura s'étonna à nouveau de la résistance de cette chemise indestructible.

— Vous voyez, mademoiselle Woodward...

Elle tiqua mais ne le reprit pas. Dire « docteur » devait lui écorcher la bouche.

— Je peux l'entendre. Il cherche à me sentir. Sentir, c'est primitif, le propre de la bête. Nous nous trouverons, mais mon ouïe est plus fine. Supérieure. Je me tais, j'écoute ses mouvements dans l'ombre. Je m'approche et je frappe, droit au but. Je sauve le monde.

Laura déboucha ses oreilles dans un geste ridicule, comme si cette déclaration pouvait se transformer par miracle et prendre tout son sens. Mais non.

— Je sauve le monde. Celarghan, vous êtes...

Complètement frappé.

— Original.

Il se tourna vers elle, extrêmement sérieux, mais en inclinant la tête sur le côté, à la manière d'un chien perplexe.

— Vous ne me croyez pas mais vous avez tort.

— Sauver le monde ! Nous parlons juste d'un suspect dont nous ne sommes sûrs ni de la culpabilité ni des motivations !

— Mais vous vous trompez : je sais qu'il est coupable. Je ne le laisserai pas m'échapper cette fois, j'ai mis suffisamment de temps à retrouver sa trace. Mais ce que vous ne voyez pas non plus, c'est en quoi l'éliminer va nous permettre de sauver le monde. Chaque étincelle de vie que nous pouvons protéger du gouffre, chaque tache de malveillance que nous arrachons à la Terre, c'est un peu de monde sauvé. Un peu de lumière que nous préservons ici-bas. Un peu moins de décrépitude. En cela, ce n'est pas tellement l'acte qui compte, c'est toute la symbolique qu'il y a derrière, le sens de son annihilation. Le pouvoir que nous avons de l'arrêter lui, c'est le pouvoir d'arrêter les autres, cette certitude que nous avons, cette force, la confiance que nous avons dans la mission que nous nous sommes fixée. En cela, nous combattons pour plus d'amour, et par nos succès, nous nous renforçons et nous nous donnons les moyens de sauver le monde. Petit à petit, chacun à notre échelle.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now