66. Communion

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Sa disparition à elle seule provoqua une modification subtile de l'atmosphère, comme si la pression avait changé. Laura respira plus librement malgré la tempête qui continuait à faire rage sous son crâne.

Elle leva des mains lourdes jusqu'à son visage, s'épongea les joues, refusant de prêter attention aux sensations qui ravageaient ses entrailles. Ce n'était pas le moment, ça ne le serait jamais. Elle avait fait l'amour avec lui plus d'une fois, il fallait qu'elle le voie comme ça, absolument, sous peine de s'écrouler.

Elle se redressa sur un coude, prit une profonde inspiration, compta jusqu'à dix, enchaîna trois ritournelles de chevreuils, érables et autres rivières.

Deuxième coude, bascule assise.

Elle remonta sa culotte, son pantalon, insensible à la douleur, lancinante, qui lui fendait l'entrejambe.

Insensible. Pieds au sol, respiration.

L'image d'Aaron, imprécise, voleta dans son esprit, une chauve-souris insaisissable, sinistre, et Laura brida son imagination de toutes ses forces.

Elle avait été dans une situation similaire, autrefois, à la merci d'un psychopathe qui aimait démembrer ses victimes. Elle n'avait pas perdu son sang-froid, joué la comédie qu'attendait le monstre, le temps que le piège se referme sur lui.

Mais elle avait été seule en danger, et elle savait que la cavalerie était en approche. Aujourd'hui, personne ne viendrait. Aaron avait souffert et souffrait encore, par sa faute.

Laura ne savait pas si elle pouvait croire un seul mot de ce que racontait Sam. Sur ses desseins, ses motivations, sa certitude de pouvoir s'échapper. Il semblait vouloir la garder en vie, au moins dans l'immédiat. C'était peut-être son seul levier. S'écraser en surface, reconnaître sa défaite. Il prétendait la connaître mais dans le fond, elle ne lui avait pas donné tant à voir. Des échanges superficiels, où elle l'avait beaucoup laissé parler. Des contacts plus intimes, une fois les lumières éteintes.

Une crispation lui serra le ventre, en décharges électriques qui lui remontèrent jusqu'à la nuque, et elle se pencha à nouveau pour vomir. La vision de ce liquide noir s'accompagna d'un vertige. Que signifiait-il ? Le fait de le cracher était-il le signe d'une lutte, ou d'une contamination profonde ? Est-ce qu'il pouvait... la métamorphoser, d'une manière ou d'une autre ?

Elle se leva, tituba et se raccrocha au mur.

Elle songea à ce stupide téléphone qui avait pris l'eau et qu'elle avait abandonné dans une poubelle de l'Institut. À Anubis qui devait désormais être mort, mais dont la disparition s'était perdue dans les miasmes du démon. À Michael qui devait la maudire d'avoir à nouveau pris la poudre d'escampette.

Sa disparition ne passerait pas inaperçue. Ses collègues, à Murmay, réaliseraient tôt ou tard qu'elle ne répondait plus. Malgré son agacement, Michael irait voir la police. Mais avec Jill Haybel dans la poche de Sam, l'enquête resterait au point mort, bien sûr. On ne la retrouverait jamais avant qu'il ne soit trop tard.

Trop tard pour quoi, pour qui ?

La rage l'étreignit, une fois de plus, en vain. Elle résista à l'envie d'aller tambouriner sur la porte pour manifester sa fureur, répéta trois fois la stupide comptine, y ajouta trois strophes de plus, avec un sanglier, un papillon, un putain de hibou dans son chêne pourri.

Le froid la saisit et ses crampes se mêlèrent à des frissons. Une main sur son front le trouva brûlant. L'hiver, l'épuisement, le stress, le diable entre ses cuisses.

Sam avait raison : sans Aaron, les choses auraient été très différentes. Elle se serait tranché les veines pour en finir.

Elle récupéra sa doudoune humide, la retourna sur le lit, à la recherche d'une arme potentielle, un rectangle de plastique rigide, sa carte de la Société. Pas un rasoir, pas un couteau, mais toujours mieux que ses ongles. Elle n'avait pas l'intention de s'en servir mais la savoir là, la promesse bancale d'une échappatoire, constituerait déjà une victoire. Elle fourragea dans une poche, une seconde, puis exhuma ses papiers, collés d'humidité et couverts de plumes.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now