15. L'opinion du légiste

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Laura émergea tard dans l'après-midi, avec une gueule de bois fantastique surgie de nulle part. On était dimanche, elle aurait pu paresser jusqu'au lendemain, mais le corps du jeune homme assassiné attendait sans nul doute dans son caisson, et comme elle n'avait rien de mieux à faire, elle décida de s'y attaquer.

En arrivant à l'Institut, elle constata qu'Ubis avait également opté pour les heures supplémentaires. Debout sur le toit translucide, elle le devina entre ses pieds, affairé sur un cadavre brouillé par le verre dépoli. Même si elle ne pouvait pas le distinguer clairement, elle discernait la rapidité de ses mouvements, ses décisions immédiates, ses déplacements de la table, à l'évier, à la balance. Soudain il se figea et resta immobile quelques secondes. Elle supposa qu'il s'était tourné vers elle et lui adressa un geste de la main, même s'il ne voyait sans doute rien d'autre qu'une tache jaune d'or. Ce fut suffisant pour l'identifier, cependant, et il répondit à son signe. Elle descendit le rejoindre au sous-sol.

Ubis se montra des plus affables. Il s'inquiéta des progrès de son installation, de son week-end, de sa garde de la nuit. Elle répondit évasivement, ne mentionnant rien de bien particulier. Il travaillait sur un corps rentré le matin-même, elle sortit son jeune homme – Alastair Stewart – de son tiroir.

— Ça ne va pas, Woodward. Si vous restez ici, il vous faudra une vie.

Il terminait de recoudre son incision principale, elle venait d'entamer la sienne.

— Mais mon contrat ne stipule pas que je devrai vous la raconter, bien sûr.

Il sourit.

— Vous êtes une louve solitaire.

— Et je hurle à la lune.

Le voyant lumineux qui surplombait les frigos indiquait qu'un troisième corps attendait d'être traité et Ubis s'y attela avant même de rédiger le rapport de celui qu'il venait de remballer. Laura espérait avoir une telle mémoire au même âge.

Ils travaillèrent dans un relatif silence, comme de coutume. Le cliquetis métallique des instruments résonnait, en contraste avec le chuintement humide des organes. Tout en œuvrant, Laura écoutait cette multitude de sons, mêlés à la respiration sifflante de son collègue. Pas de toux.

— Vous avez l'air d'aller mieux, remarqua-t-elle.

Il leva les yeux, qu'elle trouva un peu troubles.

— Imprévisible, je vous l'ai dit. Mais j'en profite sans arrière pensée.

Ce flegme puait le mensonge, mais Laura n'était pas prête à pousser. Elle avait déjà l'aveu d'Aaron sur les épaules, et le souvenir d'une conclusion compliquée. Il faudrait qu'elle retourne à l'église même si elle n'avait aucune idée de la manière dont elle serait reçue.

Alors que la lumière déclinait au-dessus d'eux, l'inspectrice Haybel débarqua, dans une tenue d'intervention qui ne dissimulait absolument rien des courbes de son anatomie. Malgré elle, Laura se sentit traversée par une pointe de jalousie. Elle n'avait jamais été portée sur l'esthétique, une manière de ne pas échouer à compenser ce qui ne pouvait l'être, mais contempler tant d'étoiles était douloureux.

Haybel piailla, racontant ses aventures de la journée avec énergie et grands gestes. Laura trouva cette démonstration pathétique, mais Ubis était suspendu à ses mouvements, comme hypnotisé, avec un sourire béat qui trahissait l'emprise qu'elle avait sur son cœur. La représentation colorée aurait pu durer des heures si le légiste ne l'avait interrompue d'une attaque de toux qui le précipita aux toilettes. Laura vit le visage de Jill blêmir d'un coup et la laissa se porter au secours de son partenaire.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant