Jeudi 27 mars 2025 - V2

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— Tiens, mais qui vois-je ?

Je me raidis au son de sa voix.

— Qu'est-ce que tu fous là ?

— Eh bien, ma belle, tu ne peux pas m'échapper. Ce n'est pas la première fois que je te retrouve, comme un aimant, je suis attiré vers toi.

Entendre ce surnom m'horripile, depuis lui, depuis ce qu'il m'a fait. Je rêve de lui cracher au visage, bien qu'il ne mérite pas ma salive.

— Pousse-toi ! Tu bloques l'entrée.

— Quoi, tu n'es pas contente de me voir ? Tu sais que tu m'as manqué !

— Allez, dégage. Va retrouver ta gonzesse, fulminé-je avec dédain. Ça fait des années que j'ai tiré un trait sur toi, tu devrais faire pareil.

— Non ma belle, je n'abandonnerai pas.

Son timbre s'adoucit, comme pour m'amadouer. Pourtant, l'expression de son visage traduit tout autre chose : de la mesquinerie.

— C'est toi ma femme, c'est avec toi que je veux être, commence-t-il avec une mélancolie simulée, avant de m'asséner le coup fatal. Tu as porté durant un temps mon enfant, tu t'en souviens quand même ?

De la bile me remonte dans la gorge, brûlant tout sur son passage. Mes oreilles saignent tant ses paroles me donnent la nausée. Comment ose-t-il remettre ça sur le tapis ? Comment ose-t-il en jouer ? Comment ose-t-il tout simplement en parler ? Lui qui a pris la fuite, dès qu'il a su que j'étais enceinte. Lui qui m'a lâchement abandonnée.

À ces mots, mon sang ne fait qu'un tour. Mon cerveau intègre le message avec une rapidité déconcertante et je riposte quasi instantanément, le poussant violemment, emportée par la colère, je me fraie un passage jusqu'à ma porte d'entrée. Toute pensée rationnelle a quitté mon corps. Mes actes ne m'appartiennent plus, je ne réfléchis plus aux conséquences. Aaron ne me fait plus peur. L'individu debout devant moi, n'est pas celui que j'ai aimé. J'ai aimé une autre version de lui, probablement une image que je m'étais faite, une illusion. Oui c'est ça, je me suis bercée d'illusions. Comment ai-je pu être aussi bête, aussi naïve, aussi aveugle ? On ne m'y prendra plus, je me le suis juré. Un homme dans ma vie, je n'en veux pas. Je n'en veux plus depuis des années et cela n'est pas près de changer.

Il m'agrippe le bras et plonge son regard noir dans le mien.

— Dis-moi que c'est du fake ce que j'ai vu sur les réseaux ? Tu ne peux pas être avec un autre mec. Il n'y a que moi qui compte pour toi, je le sais.

— Lâche-moi, où je lui demande de monter.

Aaron m'attendait devant la porte, il ne sait pas que je suis venue seule. Moi si, mais je bluffe, qui ne tente rien n'a rien. Enzo ne volera pas à mon secours, ce qui est dommage pour moi, car il est bien plus grand et baraqué que ma pourriture d'ex. Il n'en ferait qu'une bouchée. Un peu d'intimidation et Aaron prendrait la fuite. C'est sa spécialité, lâche comme il est.

Abandonnée à mon propre sort, cette ordure resserre sa prise, provoquant une vive douleur sur mon biceps. Mes tentatives pour me dégager accroissent sa fureur. Je ne connais que trop bien ce regard. Comment ai-je pu y voir un moment de la bonté ? Un jour, dans un excès de rage, un coup est parti. Ce même jour, qui devait être le plus beau de notre vie, celui où je lui ai appris ma grossesse. Pourtant, cela faisait plus d'un an que nous essayions. Il le savait mais quand est devenu réel, quelque chose a vrillé et j'en ai payé les frais. Perdue et déboussolée, les objets volaient dans la pièce tandis que les cris fusaient. Mon âme avait quitté mon corps, spectateur du désastre qui se jouait, figée et simplement incapable du moindre mouvement. Des larmes muettes perlaient sur mes joues par automatisme. Dans cette ambiance surréaliste, il a claqué la porte et je ne l'en remercierai jamais assez d'être parti. Si seulement, il avait pu partir définitivement. Non, il a fallu qu'il revienne vers moi alors que j'étais au plus bas et je l'ai laissé faire. Je regretterai toujours ce moment de faiblesse.

Ses pupilles se dilatent de plus en plus, traduisant son état d'euphorie. Mes terminaisons nerveuses sont malmenées, me lancent et quémandent de l'aide, une réaction, quelque chose, juste pour ne plus souffrir. Alors je crie, presque hystérique, dans l'espoir de faire intervenir quelqu'un. Qui ? Je ne sais pas, mais peut-être serai-je entendue.

— Arrête tes histoires ! De toute façon personne ne voudrait de toi. Regarde-toi ! Moi je n'en désire pas, alors, tu n'as pas à t'en faire, mais qui désirerait une femme incapable de porter un enfant ?

Une gifle part. Ma gifle. Cette fois, c'est à mon tour de franchir la limite. Hors de contrôle, ce geste m'échappe, comme si mes muscles n'attendaient plus les directives de mon cerveau pour agir, inapte à réfléchir. C'était mérité. Mon naturel pacifique prend la porte de sortie pour laisser place à une autre Léna lorsque je suis poussée à bout. Je hurle encore et encore, à m'en faire mal à la gorge. Mes cordes vocales déraillent, échappent des sons jusqu'alors inconnus. C'est la réplique de trop, le reproche déplacé et infondé quand on connait le nombre bien trop important de grossesses ne vont pas à terme. Une sur quatre m'avait annoncé le gynécologue. Qu'est ce qu'il peut en savoir ce connard ? J'ai mis des années à déculpabiliser de cette perte, à me convaincre que je n'en étais pas la cause, que ce n'était pas de ma faute, seulement une anomalie génétique que la nature a préféré libérer. J'ai été anéantie, dévastée. La pente a été longue à remonter, raide au point d'avoir du l'escalader alors aujourd'hui, je ne laisserai personne piétiner mon rêve.

Il me regarde perplexe, la main posée sur sa joue. Mon geste inattendu l'a figé sur place.

Avant qu'il ne reprenne ses esprits et comprenne l'ampleur de mon action, des bruits dans la cage d'escalier parviennent à nos oreilles. Béni soit la personne qui rentre chez elle, m'offrant une issue de secours. Je fuis.

— On n'en restera pas là, crois-moi, me glisse-t-il d'une voix qui n'augure rien de bon, avant de faire demi-tour.

Je me précipite alors dans mon appartement, claquant ma porte d'entrée que mes mains tremblantes peinent à verrouiller. 

Qu'ai-je fait ?

Amour et Embûches [Sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now