Vendredi 30 mai Ter - V2

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Enzo

Le classement apparaît enfin à l'écran. La main de Léna me broie les doigts. Elle a bien plus de force qu'elle ne laisse penser. Petite, mais puissante. Est-ce la pression qui décuple ses capacités ? Si c'est l'effet de ses émotions, je lui fais confiance pour réussir nos épreuves. Encore faut-il être parmi les sélectionnés.

Je parcours la liste. Les premières lignes défilent sous mes yeux. Sérieux, je scrute les prénoms avec espoir. Couple un, couple deux, couple trois, couple quatre... Merde, l'espoir s'envole tout doucement. 

Classement des couples retenus

1- Ayline - Dylan

2 - Océane - Adam

3 - Ruby - Tao

4 - Léonie - Samuel

5 - Romain - Charles

6 - Léna - Enzo

7 - Pauline - Sofiane

8 - Lola - Taylor

9 - Maxine - Owen

10 - Catherine - Olivier

Je n'ai pas le temps de voir la suite que Léna pousse un cri de joie et me saute dans les bras. Elle enfouit son visage dans mon cou et exprime son bonheur. Je trouve nos prénoms en sixième position. Tous mes muscles se détendent, comme s'ils avaient attendu de voir l'information de mes propres yeux, que mon cerveau la traite et la transmette jusqu'à eux. Je respire de nouveau.

Je saisis Léna par les épaules, pour la regarder droit dans les yeux. Ses pupilles me sondent, interrogatrices. Devons-nous le faire ? Oui. Le moment est arrivé. Nous l'avons retardé à maintes reprises, malgré les demandes répétées de ma communauté, mais pour une question de crédibilité aujourd'hui et pour copier nos concurrents, nos têtes acquiescent sensiblement, donnant chacun notre accord.

Mes mains se posent sur ses joues rougies par l'excitation de notre victoire. D'un geste, je rapproche son visage et mes lèvres réduisent centimètre par centimètre la distance avec les siennes. Nos nez s'effleurent subtilement avant que nos bouches ne se rencontrent. Ce simple baiser, doux, pulpeux, me fait de l'effet. Les souvenirs de ma langue sur sa peau resurgissent de plus belle. Elle accentue notre étreinte, m'offrant d'avantage de saveur. Je rouvre les yeux, inconsciemment clos, lorsque la chaleur naissante cède sa place à une fraîcheur inattendue. Mes lèvres humides tressaillent à la première bourrasque de vent.

— Attends, reviens là !

Je profite de ce moment, plus qu'il ne faudrait. Je dépose de nouveau un chaste baiser sur ma fausse copine. Après tout, il faut bien convaincre ceux qui nous regardent.

— On y est, me confirme-t-elle, l'air sévère.

J'acquiesce, sérieux, elle a raison.

Les couples éliminés aux portes de l'aventure sont dépités. Avoir fait autant de kilomètres pour être ici ce soir, avoir nourri des espoirs pendant des semaines, pour échouer maintenant, il n'y a rien de plus terrible. Comment aurais-je réagi à leur place ?

« Tout d'abord, félicitations aux sélectionnés ! Je suis fier de vous, vous l'avez mérité, reprend le présentateur avant de se tourner vers les deux couples éliminés. Audrey, Vincent et Manon, Tom, je suis désolé. L'aventure s'arrête ici. Les autres, vous pouvez rejoindre le ferry. Il vous attend. Dans quelques dizaines de minutes, vous poserez enfin les pieds sur Tory. Je suis certain que vous en avez rêvé depuis des mois ! »

Main dans la main, nous suivons les directives, guidés par les équipes de la production. Je souris en passant devant une caméra et me plais même à envoyer un baiser virtuel aux téléspectateurs. Sixième au classement, ce n'est pas extraordinaire, alors jouons de nos charmes.


Léna

À bord du bateau, la traversée s'annonce mouvementée. Le vent fait voler mes cheveux et je respire à plein poumon la bouffée d'oxygène que m'offre l'air marin. Cela fait un bien fou, après ce stress intense.

Avec Enzo, nous profitons du trajet pour discuter avec d'autres équipes. Des échanges de banalités, mais l'intégration est un élément essentiel. Il va falloir jongler entre stratégie et naturel, solidarité et individualité.

— Ruby et je te présente Tao, se présente l'une des filles.

C'est un petit gabarit, comme moi. Son visage est lumineux et solaire. Elle transpire la joie de vivre. Si sa bonne humeur persiste sur l'île, rien que la regarder pourrait nous redonner le sourire, à n'en pas douter. Son conjoint, lui, est plus fermé, sur la défensive, sans pour autant avoir l'air sévère ou inamical.

— Léna, répondis-je en lui tendant la main. Et voici Enzo.

— Enchanté ! Vous venez d'où ?

— D'île de France. Et vous ?

— Du sud !

— Ça explique l'accent ! Et l'Irlande ne vous fait pas peur ?

— Pour le froid ?

— Oui !

— Oh tu sais, on s'y fait. Et puis on connaît des manières efficaces de se réchauffer, hein ? rit-elle en donnant un coup d'épaule à sa moitié.

Son aisance me tire un sourire. Ma première impression se confirme. Ça à l'air d'être un vrai spécimen, celle-ci. Je devrais bien m'entendre avec.

La discussion bien entamée, je me sens patraque. Je laisse de côté les copineries pour regarder la mer au loin, focalise mon attention sur l'horizon, mais ma salive se fait de plus en plus volumineuse. Je déglutis péniblement. J'agrippe la rambarde de toute mes forces comme pour évacuer cette oppression et cette sensation de nausée au creux du ventre. Je souffle, j'expire, j'inspire en rythme et intensément. Exagérément.

— Ça va pas ? demande Enzo.

— Sans blague ? J'ai l'air détendu, peut-être ?

— OK. Effectivement, tu es plutôt tendue comme un string. Le mal de mer ?

— Il faut croire.

— Viens, retournons nous asseoir.

Les quelques pas n'arrangent rien à la situation, si ce n'est même pire. Mon corps est hors de contrôle, mes sens sont perdus, mon cerveau n'interprète plus correctement les infos fournies par ma vue, tout est décoordonné.

Enzo m'enveloppe de ses bras, mon dos collé contre son torse.

— Ferme les yeux ma belle.

— Ne m'appelle jamais ma belle s'il te plaît, lui soufflé-je à bout. Tout ce que tu veux, sauf ça.

— D'accord princesse. Aller ferme les yeux. Concentre-toi sur ta respiration. Compte-les.

— C'est peine perdue, j'ai envie de vomir.

— Chut... Suis-moi, copie-moi, écoute les battements de mon cœur et fais le vide de tout le reste.

Je l'écoute, les paupières closes, les bras dans le prolongement des siens. Ses doigts effectuent des petits cercles sur ma peau. Un rond, puis deux, puis trois, en rythme, je me laisse bercer, je me laisse emporter puis je m'endors. Il me sauve d'une fin de traversée cauchemardesque.

Amour et Embûches [Sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now