Mercredi 23 juillet - V2

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Île de Tory — mercredi 23 juillet 2025

Enzo

Les derniers jours se sont écoulés dans une atmosphère exécrable. Léna est plongée dans un silence glacial, m'ignorant avec un calme olympique. C'est difficile à supporter. De mon coté, je choisis de ne pas lui adresser la parole. Peut-être que c'est préférable ainsi, mais la tension est palpable, prête à éclater à tout moment.

Comme tous les mercredis, nous nous tenons sur le lieu de l'épreuve de confort. J'appréhende. Vraiment. L'épreuve de ce week-end a été un véritable calvaire. Je ne sais pas si je dois remercier nos amis de nous avoir sauvé ou leur en vouloir de faire traîner mon supplice. Des cris, des engueulades, qui nous ont emmené directement à la dernière place. Si Tao et Charles n'étaient pas avec moi dans l'aventure, j'abandonnerais. J'en suis à un point où je n'ai plus véritablement le goût de continuer. J'envie presque Océane et Adam qui nous ont quittés dimanche. Avec ce scandale, je suis forcément devenu populaire, peut-être pas de la façon dont j'aimerais mais suffisamment pour lancer ma carrière.

— Vos destins sont liés, encore une fois, vous allez devoir faire confiance à votre partenaire. La communication est le socle d'un couple, prouvez-nous que le vôtre est solide, annonce l'animateur.

— Tu préfères avoir les yeux bandés ou je le fais ?

— Je m'en fous, rétorque-t-elle.

— Essayons de réfléchir stratégique.

— Parce que tu réfléchis maintenant ?

— Écoute, il va falloir mettre la rancœur de côté le temps de l'épreuve. Tu peux faire ça ?

Elle ne répond pas, reste stoïque, campée sur ses positions, moi sur les miennes.

— On peut enterrer la hache de guerre juste pour l'épreuve ? On doit gagner. N'oublie pas l'objectif, on veut gagner.

— Oui, je VEUX gagner. Pour moi et mon bébé. Aucunement pour toi. Je ne te dois plus rien. Alors je ferai ce que j'ai envie.

— OK, vu ton état d'esprit je vais te guider. Tu serais capable de me laisser en plan au milieu de nulle part.

Elle n'objecte pas, elle ne contredit pas.

— Vous êtes prêts ? Le premier couple qui passe la ligne d'arrivée de ce parcours du combattant remporte le maximum de tickets. Pensez à ce que vous pourrez vous acheter avec tout ça, reprend-il, mais aussi un confort surprise.

Mon estomac sait ce que signifie gagner l'épreuve,c'est synonyme d'une crise de foie. Je mange tellement peu ces jours-ci que le simple fait de me goinfrer me provoque instantanément des douleurs abdominales. Cependant, à chaque occasion qui se présente, je prends le risque. Je mange, encore et encore, cherchant à reprendre des forces. La faim se fait de plus en plus présente au fil des jours, accentuant notre moral morose.

Le gong retentit, je m'élance sur le parcours parmi nos concurrents. Je cours à foulée rapide, mais pas trop grande pour que Léna que je tiens par la main puisse tenir le rythme. Je la tire pour lui donner la direction à prendre. Je suis concentré. Elle suit, sans broncher jusqu'au premier obstacle devant nous.

— Va falloir se baisser et ramper. C'est de la boue. Faut passer sous des rondins.

— OK.

Elle s'allonge à même le sol, elle galère, mais me suit. La boue s'infiltre dans chaque recoin de nos vêtements, les rendant beaucoup plus lourds, plus crasseux. Le frottement du tissu terreux sur ma peau est désagréable pourtant nous devons poursuivre. Léna marmonne dans sa barbe.

— Aller avance, on est pas dans les premiers.

— Je fais ce que je peux.

— OK, c'est bon pour les rondins, on peut passer à la suite. Tiens, donne-moi ta main.

Elle se redresse, mais se cogne la tête par la même occasion.

Aïe.

— Putain, mais t'es sérieux ?

— Pardon, je croyais que tu avais passé la dernière barre, je n'ai pas fait attention.

— C'est toi les yeux, merde ! Fais gaffe à ce que tu fais.

— Oh ça va, tu t'es pas assommée non plus.

Je lui saisis le bras, pour la diriger, mais comme si mon contact la brûlait elle me repousse.

— C'est bon, je me débrouille.

— Léna, arrête tes chichis, je dois te guider.

— Je te suivrai à la voix.

— T'es têtue, on n'a pas le temps pour ça.

— Alors, avance.

Bien que je bous, je ronge mon frein. Je sème des « par là, par là » contre productif à longueur de chemin, pour qu'elle s'oriente, mais l'écart se creuse avec les autres. Elle trébuche.

Fais chier.

Encore de précieuses secondes de perdues. Je la ramasse tandis qu'elle peste, cependant, je m'en contre fiche.

— Tu vas mettre ton ego de côté stp et me suivre.

Je lui enserre le poignet et ne lui laisse pas le choix. Je la tire avec moi. Désormais, plus de pitié, il faut rattraper notre retard, j'accélère. Elle manque de chuter encore plusieurs fois de justesse mais entraînée par mon corps, elle n'a pas le temps de toucher le sol que je la rattrape. Elle grogne, jure. Peu m'importe. J'ai faim, je veux manger. Hors de question que j'arrive en dernier.

— OK, maintenant il faut grimper sur un filet et passer par-dessus la rambarde. Vas-y monte, lui dis-je en positionnant ses mains sur la corde. Je te suis.

Je la pousse, pour l'aider à monter plus rapidement.

— Ça va, n'en profite pas pour me toucher.

— Boucle la Léna, vraiment tu me saoules là. On est dans les derniers et tu me chies un cake pour rien.

Je la dépasse, la soutiens pour basculer de l'autre côté. Je saute à pieds joints au sol. Avec ma taille, ce n'est pas si haut.

— Lâche-toi en avant. Je te rattrape.

— Je ne te fais pas confiance.

— Il faut, vas-y fais-le !

— Non !

— Léna ! Tu fais chier.

Elle cède, je la récupère en vol. Son corps glisse contre le mien. Mon épiderme réagit à cette proximité. Comment mon corps peut-il être aussi traître ?

— Il reste le passage des cordes, une en haut, une en bas. Tu te laisses glisser le long, OK ?

— C'est haut ?

— Non, si tu tombes, tu ne crains rien.

— OK.

Cette fois-ci, elle se démène. La peur ne la retient pas et peu à peu, nous rattrapons les autres équipes. Finalement, nous franchissons la ligne d'arrivée, épuisés. Notre classement n'est pas catastrophique, mais loin d'être exceptionnel. Nous obtenons quinze tickets, un résultat modeste, mais c'est mieux que rien et je m'en contenterai.

Amour et Embûches [Sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now