Jeudi 24 juillet - V2

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Île de Tory — jeudi 24 juillet 2025

Léna

Au réveil, je fuis. Enzo m'a adressé la parole avant de dormir, de sa propre volonté. Délibérément. Et pour une fois, ce n'était pas pour me lancer une pique. Je ne suis pas certaine d'être prête à écouter ce qu'il a à me dire, j'ai passé une bonne partie de la nuit à réfléchir, pourtant ce matin je suis tout aussi déboussolée.

La brise me revigore. Une pomme dans la main, je croque dedans, tout en observant l'horizon nuageux. L'herbe humide m'empêche d'y poser mon postérieur sans pour autant gâcher mon plaisir de contempler la vue splendide. Je pourrais me réveiller tous les matins face à ce panoramique sans jamais m'en lasser.

Le campement est silencieux, aucune âme en vue. J'engloutis mon maigre petit déjeuner et me dirige ensuite vers le puits pour remplir ma gourde. Il ne me restait que quelques gouttes d'eau. Trop préoccupée par l'épreuve et notre situation en général, je n'ai pas prêté attention à mes provisions. Heureusement, malgré nos tensions, Enzo et moi avons pu acheter un peu de nourriture pour reprendre des forces. Nous ne sommes pas les plus mal lotis en ce qui concerne la nourriture, mais nous ne croulons pas non plus sous les réserves.

Depuis que je sais être enceinte, je fais attention à ce que j'ingurgite. Il me faut suffisament de ressources pour nourrir mon corps et le fœtus qui se développe en moi. Des vitamines, des protéines autant que possible. Manger varié est un défi, mais je fais de mon mieux. J'arpente l'île, en quête des fameuses enveloppes qui nous permettent de nous ravitailler, que ma veillée matinale serve à quelque chose.

Après plus d'une vingtaine de minutes d'errance, une voix m'interpelle. Enzo.

— Tu es déjà debout ?

— Je crois que tu connais la réponse.

— Effectivement.

Il s'approche de moi, mais maintient une certaine distance, traduisant la tension qui règne entre nous. Un silence pesant s'installe et je n'ai pas l'intention de le briser. S'il veut bavarder, qu'il porte ses couilles, parce que je suis prête à riposter avec des paroles cinglantes.

— On peut discuter ? tente-t-il.

— Tu peux toujours parler, j'essaierai de t'écouter.

— Léna !

— Quoi ? Je fais déjà un effort. Moi perso, je n'ai rien à te dire.

— Pourquoi tu m'as rien dit ?

— Tu m'as tout confié, toi ?

— Ce n'est pas une réponse.

— Toi non plus.

— Si tu m'en avais parlé, on n'en serait pas là !

— Si tu n'étais pas aussi con, on n'en serait pas là non plus !

— Alors, quoi, j'aurais dû jouer le jeu, faire comme si j'étais heureux ?

— Ce n'est pas ce qu'on fait depuis des semaines peut-être ? Faire comme si tout allait bien, comme si notre couple était solide.

— Arrête, c'est pas pareil.

— Uniquement de ton point de vue.

— Je pensais être le père !

— Et même si c'était le cas, je ne te demande rien.

— Ouais, enfin vivre en sachant que l'on a peut-être un enfant quelque part, c'est quand même pas ce que je souhaite.

Un blanc s'installe à nouveau. Cette discussion ne mène nulle part. Je n'ai plus aucune raison de faire semblant désormais. Je ne sais même pas pourquoi nous continuons le jeu. À si ! Pour gagner les cent mille euros promis aux vainqueurs, mais comment pourrons-nous être élu vainqueur sachant la supercherie que nous avons montée ! Impossible pour les téléspectateurs de nous faire confiance dorénavant. Nous les avons dupés eux aussi, pas uniquement la production et les candidats. Nous avons dupé tout le monde, et pourquoi au juste ? Pour rien.

— Tu aurais pu me faire confiance, finit-il par reprendre.

— Vu comment tu as réagi ? Sûrement pas. Tu es un gamin Enzo. Un gamin.

— Je sais prendre des sujets au sérieux.

— Si je t'avais dit : « Hello, viens on participe à un jeu parce que je veux de la thune pour élever un gosse seule » tu aurais accepté ?

Il reste silencieux.

— Non. Tu aurais dit non. Et tu aurais fuit le plus loin possible, en me prenant pour une folle.

— Tu aurais pu me le dire après !

— Quand ? Quand tu sautais des nanas différentes chaque semaine ?

— Ça n'a rien à voir.

— Enzo. Je te parle d'un bébé. Rien qu'à l'évocation de cette possibilité, tu t'es transformé en une bête sauvage. Tu n'aurais rien compris de mes envies.

— Tu aurais pu essayer.

— Essayer et prendre le risque de tout foirer dans le début de relation qu'on essayait d'instaurer ? Je dois te rappeler comment c'était en France avant l'émission ?

— C'est vrai que tu m'en as fait baver.

— Parce que toi non peut-être ?

La discussion stagne. Je campe sur mes positions, lui aussi, même si je sens qu'il cherche à renouer le dialogue. Il reste encore un bon mois d'émission. Nous ne pourrons pas continuer dans cette situation, dans cette tension. Seulement, aujourd'hui, je ne suis pas prête à pardonner, tant soit peu qu'il me demande pardon. Alors uniquement, je réfléchirai à m'excuser à mon tour de lui avoir causé la peur de sa vie.

Amour et Embûches [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant