Lundi 5 mai - V2

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Essonne — lundi 5 mai 2025

Enzo

— Léna ! On y va ?

— Partager le trajet avec toi ne me réjouit pas, je te rejoindrais là-bas. J'ai une course à faire avant.

— Allez, c'est bon ça fait des jours qu'on ne se parle plus. Y'a prescription.

— Trop facile. Je ferai des efforts quand j'en aurai envie.

— Tu sais que ma communauté va se poser des questions si on ne nous voit plus ensemble, tenté-je, histoire de lui rappeler le but de notre cohabitation.

— Oh parce que tu ne leur as pas présenté Madame longues jambes de ce week-end ?

— Ah ! C'est ça le problème alors ? Mes conquêtes ?

— Mets qui tu veux dans ton pieu, tant que ce n'est pas moi.

Si elle pouvait, elle me cracherait au visage en même temps que ces paroles. Ma mission est réussie: elle me déteste. Je fais ça pour toi Léna, pour nous, pour te sortir de ma tête. Mes pulsions augmentent de jour en jour, avec sa présence continue, son parfum flottant dans l'air à son passage, à ses yeux d'un bleu océan dans lequel je rêve de plonger, à sa bouche qui n'appelle que la mienne. Elle doit être la barrière qui me tient éloigné, elle doit être l'adulte qui ne franchira pas la limite.

Seul dans la salle d'attente du médecin, je passe de revue en revue sans vraiment les lire. Les pages tournent machinalement alors que mes yeux surveillent l'entrée. Mon tour arrive et Léna n'est toujours pas là. Va-t-elle me faire faux bond ? Tout arrêter ? Suis-je allé trop loin ? Assailli de doutes, l'arrière de mon crâne trouve la fraîcheur du mur, paupières fermées, j'expire mon impatience.

— Monsieur Enzo Mirretto ?

Je sursaute.

— J'arrive.

Je vérifie une dernière fois que je suis encore seul et me rend à l'évidence: aucune trace de la femme censée partager ma vie. Tel un pantin, je me laisse ausculté et tel un robot j'effectue les mouvements requis.

— Monsieur ?

— Oh oui, pardon vous disiez ?

La demi-oreille qui l'écoute a loupé la requête du médecin, perdu dans mes questionnements. L'examen terminé, je quitte le cabinet, penaud, les mains dans les poches, tête baissée. Je ne veux pas affronter la réalité. Lorsque je sors, je suis bousculé.

— Pardon, je suis pressée ! peste une voix qui rallume mon étincelle mourante.

Elle n'attend pas de réponse et s'engouffre en salle. Elle est là et c'est comme si le poid du monde que je portais s'envolait. Elle ne m'a pas lâché.

Le moment de faire une trêve est venu. J'ai conscience d'avoir pris des risques ces dernières semaines. J'ai besoin de Léna pour gagner le jeu, je ne dois pas l'oublier. Si elle déclare forfait, je suis également éliminé. Je vais entamer des négociations pour retrouver une harmonie.

Après un trajet à ruminer sur comment l'aborder, je file sous la douche. Les femmes sont complexes, je doute qu'un simple « excuse-moi » suffise. Je ferme les yeux et me glisse sous le jet. La température de l'eau me détend. Mes muscles se relaxent et shampooing dans les cheveux, j'offre à mes neurones l'occasion de déconnecter, eux qui ont trop carburés pour la journée, avec un massage du crâne. J'adore ça.

Après les longues minutes à profiter de la vertue reposante de mes gestes, je rouvre le robinet, tête dans l'axe du pommeau. Une couleur inhabituelle ruisselle à mes pieds. Merde, mais c'est quoi ça ! Ça vient d'où ? Mes mains ! Je rince, je frotte. Je rince, je frotte. À l'évidence, ça ne part pas. Mes yeux s'écarquillent en voyant le flux orangé dégouliner aussi depuis mes cheveux. C'est quoi ce bordel !

Je sors, furax et contemple les dégâts dans le miroir. Blond ! Me voilà blond ! Une trêve ? J'ai parlé d'une trêve ? Certainement pas. Léna, tu me le paieras.

Amour et Embûches [Sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now