L'attaque du loup

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    Si j'avais su que mon prof avait écouté ma précédente réponse sur Ivanohé, je n'aurais sans doute pas eu le malheur de ne pas être attentive. J'eus droit à un quart d'heure de remontrances et les rires des autres élèves. Mais, au final, le prof salua ma mémoire. Au final, je savais qu'il avait un rapport avec Ivanohé, et il arrêta de me martiriser. 

    En arrivant aux cours, la seule place libre était celle, au fond de la classe, qu'occupait Rod. Il avait lui aussi cette fragance, bien que plus timide que celle de Stephen. Il m'avait souri, puis s'était figé en me regardant de plus près alors que je me morfondais sur ma place. Puis, il s'était tu, alors que, quelques minutes plus tôt, nous rigolions amicalement sur la dernière musique de Maitre Gims, Bella. Lui aussi la détestait, et j'étais bien contente de trouver enfin réconfort dans l'avis d'un autre garçon. Le cour s'avança, péniblement, alors que Rod restait coincé dans son mutisme. Visiblement, j'avais fait quelque chose qui ne lui avait pas plu, et il allait me "faire la gueule". Pourtant, cette pratique était utile pour les collégiens en manque d'affection, pas pour un lycéen qui avait cette sensation ancrée en lui même. Je respirai à fond et lui chuchotai:

- Eh, j'ai fait quelque chose de mal?

- Heu? Non, excuse-moi, c'est... Euh... Non rien, oublie. C'est pas de ta faute.

    Je le dévisageai un instant, puis ignorai les questions qui trotaient ans ma tête. La leçon se finit calmement, comme toujours, et je sortis calmement. Devais-je déjà retrouver Jess ou pas encore? Je décidai de passer en coup de vent, avant de retourner au cour prochain. Les toilettes étaient vides, je décidai donc de redescendre. La fin des cours se termina vite, et je rejoignis en effet Jess aux WC à la fin des cours. Elle me mena dans la cantine, puis me fit signe de la suivre. Visiblement, nous allions manger avec Tom. Mais la table semblait énorme pour trois personnes...

     Ma stupéfaction fut de courte durée: le groupe entier de Tom entra dans la cantine et se dirigea vers notre table. Chacun d'eux me regarda et plissa un moment les yeux avant de regarder Stephen d'un air interrogateur. Celui-ci leur répondit par un haussement des épaules désinteressé, et les conversations commencèrent. Pourquoi est-ce qu'ils me regardaient tous de la même manière? Je n'avais rien fait de mal. Mal à l'aise, j'entrai discrètement dans la conversation en évitant de trop me remarquer. Je remarquai qu'il y avait encore une chaise de vide, juste à côté de moi. Peut-être étais-ce normal. Je ne fis donc aucune remarque et continuai de discuter. J'étais enfin moi-même, j'avais enfin tout ce que j'avais toujours voulu. J'étais heureuse. 

     Les mecs se turent soudainement quand quelqu'un tira la chaise à côté de moi et s'asseya avec flegme dessus. Je tournai la tête, surprise, et ce que je vis me fit l'effet d'une décharge électrique. Ses cheveux, bruns chocolats, était coiffés exactement comme le Capitaine Becker dans Nick Cutter et les Portes du Temps, et ses yeux bruns dorés sortaient de l'ordinaire. Mais, plus que tout, c'est la sensation que j'éprouvais en le voyant qui me faisait effet. La même que celle de Stephen, mais en dix fois plus fort, comme si Stephen utilisait cette sensation alors que lui la stockait et la cachait... Peut-être n'en avait-il pas conscience. 

- Ronan, fit-il en me souriant. 

- Corinne. 

- Ah, t'es la nouvelle! On ne m'avait pas dit que vous étiez aussi belles, de là où tu viens...

     Drague ouverte ou gentillesse? Je n'en savais rien. Toujours est-il que je discutais longuement avec lui, de tout et de rien. Quand il me regardait dans les yeux, la sensation se mêlait à moi et faisait battre mon coeur plus vite, plus fort. J'avais l'impression qu'il pouvait l'entendre de là où il était. Mais, évidemment, c'était impossible. 

*

     La journée s'étant finie sans encombre, je rentrai chez moi, tranquillement. Le voyage ne durait que quinze minutes, pourtant j'avais l'impression que la neige me faisait perdre des années. Une soirée loin de Ronan allait enfin me calmer. En effet, nous avions remarqué que nous avions presque toujours les même cours. C'était le seul de la bande à ne pas me fixer bizarrement. Je trouvais cela bizarre, mais bon. Je n'allais pas m'interroger sur toutes les pratiques bizarres de ces gens. En arrivant chez moi, il faisait encore jour, mais je savais que la nuit n'allait pas tarder à tomber. En hiver, c'était normal qu'à cinq heure, ce soit le crépuscule. Je rentrai dans la maison et décidai d'aller faire mes devoirs sur la terrasse avec une bonne couverture et une tasse de thé. Bien que cela semble bizarre, j'étais plus à l'aise et concentrée au plein air, et ce depuis longtemps. Aussi pris-je mes cours et allai dehors. L'air n'était pas si froid, emmitoufée comme je l'étais. Je commençai à me vider l'esprit en regardant la forêt, puis m'attaquai à mes devoirs. La nuit commençait à tomber quand je les avais finis, et je me levai tranquillement, les fesses froides et les doigts engourdis. J'allais rentrer quand un bruissement du côté de la forêt m'arrêta nette. J'étais comme hypnotisée par un chant inaudible qui m'y attirait. 

     Mes devoirs tombèrent à terre, mon stylo y roula jusqu'aux marches qui menaient jusqu'au jardin et y tomba, et mes pieds s'avancèrent d'eux même vers la forêt. Quelques dizaines de mètres me séparaient encore d'elle quand ma couverture tomba. Le froit s'insinua contre mon corps, et m'arracha à ce chant hypnotisant. Je n'avais encore jamais ressenti de paix intérieure telle que celle-ci.

     Je secouai la tête, interdite, et ramassai ma couverture. Qu'est-ce qu'il se passait, ici? Comment donc avais-je pu perdre ainsi possession de mes esprits? Encore toute retournée, je revins sur mes pas, ramassai les cahiers, et cherchai le stylo. En vain. Il avait tout bonnement disparu dans la neige, ne laissant aucune trace. Puis, en regardant plus attentivement, je remarquai des trous dans la neige. Je les avais pris pour les miens, mais non. Il s'agissait d'un énorme chien. Or, ces traces n'étaient pas là avant que j'aie fini mes devoirs, j'en étais sûre!

    Prise d'une panique folle, je courrai à l'intérieure, avec l'impression que le chien allait me tuer à tout instant. Je fermai la baie vitrée derrière moi avec force. Le bruit qu'elle fit en se fermant rameuta mon père, qui descendit, inquiet.

- Corinne? Qu'est-ce que tu as?

     Je décidai de mentir sur le fait que j'avais été attirée par un chant muet dans la forêt alors qu'il faisait nuit, et lui répondit d'une vois que je maîtrisais à peine:

- Je faisais mes devoirs, et j'ai entendu quelque chose dans le jardin. Je suis donc allée voir ce que c'était, mais il n'y avait rien. Quand je suis revenue sur mes pas, mon stylo était tombé dans la neige. Je l'ai cherché, et à la place, j'ai trouvé des traces de pattes... On aurait dit un énorme chien!

- Il y a de gros chiens qui se baladent avec leurs maîtres dans la forêt, ma chérie.

- Oui, mais ces traces n'étaient pas là quand je suis allée dans le jardin!

     Il me regarda dans les yeux, et il dut y voir que je ne mentais pas. Une lueur de panique se dessina dans ses yeux, et il s'approcha à grand pas de la porte vitrée. Il l'ouvrit prudemment, regarda à l'extérieur, avisa les traces de pas.

- Corinne, est-ce que les traces venaient jusqu'à la terrasse?

- Non, elles s'arrêtaient à quelque mètres...

     Et soudain, un éclair de fourrure noire passe dans le jardin. Il s'arrêta fixement, nous regardant dans les yeux. Je le fixai, et ses iris dorées semblaient si intenses que je n'arrivais plus à me soutirer de son regard. Il fit des bonds jusqu'à la terrasse alors que mon père fermait la porte à toute vitesse. Je poussai un cri lorsqu'il s'écrasa dessus, griffant le verre de la baie. Mon père me prit dans  ses bras et me ramena en arrière. Ma respiration saccadé m'empêchait de prononcer un seul mot tandisque mon poul s'affolait encore et encore. Les assauts répétés de la bête contre la vitre allaient forcément la briser. Mais non, l'animal s'arrêta fixement, et je perçus à travers la vitre le hurlement des loups. Et je compris que l'énorme chien noir était un loup, un loup alpha. Sa meute le rappelait. Il allait probablement revenir. 

    Et soudain, il s'en alla, aussi rapidement qu'il était venu. Mon père m'embrassa le front, doucement. 

- C'est fini, Corinne, c'est fini.

   C'était fini, oui... Mais pour combien de temps?

Souls of Alphas Où les histoires vivent. Découvrez maintenant