Pensées enneigées

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    Une sensation de froid. Un froid indissible, comme jamais. Je n'arriverais jamais à m'en défaire, j'en était sûre. J'allais y rester. Rester là, roulée en boule dans la neige glacée de ce mois de janvier. C'est là que tous les événements me frappèrent. Tout cela n'était pas naturel. Je me serais crue dans un film américain particulièrement tordu. Si on y réfléchissait, je ne pouvais pas être dans un film... Les actrices n'ont pas mal. Elles ne souffrent pas. Elles n'ont pas l'impression que leur monde s'écroule autours d'elles. Et les acteurs ne sont ni flippants, ni bizarres. Car Stephen et Ronan l'étaient, bizarres. Stupéfiants.

     Alors que je sentais la mort arriver, par derrière, aifn de m'emporter avec elle dans ce pays que l'on appelle Paradis - ou Enfer, j'essayais de ne pas me laisser aller à des supplications divines. Il ne servirait à rien de supplier le bon Dieu qu'il me sauve, j'était déjà à moitié morte. Je n'avais plus qu'un espoir; que mon père me trouve. Et il ne me trouverait jamais. 

    Ici, dans la pénombre appaisante de la forêt, j'était libre. Libre de m'en aller de ce monde où chacun des gestes de son prochain était signe de réflection. Tout était calculé, froid. Rien n'avait la même consonnance qu'ailleurs. Les stéréotypes guidaient nos réactions, nos pensées, nos opinion, et nous nous laissions emporter pas les flammes des autres. Personne n'était libre. Sauf moi. J'était libre de me battre afin de me sauver, de survivre. J'était libre de continuer à vivre, à vivre dans la décadence de mon monde - un monde que je ne comprendrais jamais. Je n'avais d'autre choix que de me sacrifier; me sacrifier afin d'éviter ce choix. Car celui qui avait laissé ce message contre mon miroir attendait de moi un choix, un choix que je n'était pas prête à lui offrire. Je ne serais peut-être jamais prête à le faire, mais peu importe. Je savais que quoi que je fasse, ça se retournerait contre moi.

     Mes yeux se fermèrent d'eux-même sur les horreurs de mon monde, et des images de paix se formaient dans mon esprit tourmenté. Des images d'un monde, un autre monde... un nouveau monde. Un monde que je connaitrais peut-être en mourrant. Mais en mourrant, j'abandonnerais ma dernière chance, ma dernière chance de comprendre, de me sauver de cet enfer qui m'attendait peut-être de l'Autre Côté... Et surtout, je voulais comprendre.

     Comprendre pourquoi un loup énorme m'avait attaquée alors que les loups ne sont des animaux ni dangereux pour les hommes ni agressifs envers les prédateurs que nous sommes. Ce loup n'avait strictement aucune raison de s'en prendre à moi. 

     Et puis d'abord, qui avait laissé ce message? Un message en grec, grec que ma mère m'avait enseigné. Et qui avait incité mon père à croire en l'existence des loups-garous, un message qui l'avait rendu fou. Car, oui, je savais mon père dérangé depuis la mort affreuse de ma mère, mais sa folie récente venait d'autre chose. L'attaque du loup avait réveillé en lui ce que je n'avais jamais osé dire: sa mort.

     Mais maintenant venait la question plus importante: que faisais-je ici, en plein milieu d'une forêt, couchée en position foetale au milieu d'un tas de neige à moitié écrasée par une forme animale. Qu'est-ce qui m'avait amenée à venir ici, à me pousser à des tels retranchements de ma personalité? à me demander si vivre était la bonne solution?

    Mais je n'en avais cure. Tous ces problèmes n'étaient-ils pas qu'une série d'autres qui s'ajoutaient à la longue liste des événements de ma vie? N'avais-je pas besoin d'eux pour me trouver une raison de survivre à ce froid, ce froid qui m'empêchait désormais de respirer correctement, qui serrait mes poumons et mon coeur dans un étau glacial dont seule la mort pourrait me délivrer?

       Parce que la mort n'était-elle pas une simple façon de s'éveiller de ce cauchemard sur un monde éventuellement meilleur? Un monde pouvait-il d'ailleurs être pire que celui dans laquelle nous évoulions chaque jours? Je n'en était pas sûre. J'étais simplement sûre d'une chose: Mon père avait peut-être raison en s'enfermant derrière ses idées tordues. Peut-être était-ce sa façon de faire face à la réalité. 

     Mon père... Qu'allait-il devenir sans moi pour le sortir de sa folie? Allait-il survivre à la mort de sa femme, puis celui de sa fille? N'allait-il pas s'enfoncer encore plus dans son monde, son monde à lui? Je n'en savais rien. Je ne savais rien. Sur tout, sur rien. 

    Je n'avais jamais rien su. Sur la mort de ma mère, sur la folie de mon père, sur la nature de l'aura que dégageaient la bande de Stephen et de Ronan, sur l'attaque du loup, sur le message, sur la découverte de mon stylo... Sur ce mystérieux chant qui m'avait appelée dans la forêt. Sur tout, sur rien. Sur Stephen, qui m'avait invitée au Bal de Glace alors qu'il ne me connaissait absolument pas, et sur Ronan qui semblait attendre de savoir si je voulais y aller avec lui avant de me demander lui aussi de m'accompagner... Mais je n'avais rien à faire de ces problèmes-ci. Il n'avaient rien à faire dans ma vie. Stephen n'était d'aucune importance pour moi, je le savais, et il devait s'en être rendu compte lui aussi...

     Et soudain, quelque chose me tira de mes pensées explicites et suicidaires. Quelque chose de chaud. De vivant. Des lumières aveuglantes passaient sur mon visage, et on me leva en l'air, hors de ma neige, de mon repair. De ma mort, par ailleurs. Devais-je haïre cette sensation de bien être, de chaud autours de moi, de mots rassurants prononcés par mon père au creux de mon oreille, des brouharas des policiers qui s'étaient lancés à ma recherche, et surtout, de cette sensation de revivre à nouveau? Devais-je au contraire les remercier, les remercier de me faire devenir en moi une héroïne américaine intempéstivement sauvée de la mort, alors que son heure n'était pas venue? N'étais-je pas qu'une marionette parmis tant d'autres? Je n'avais jamais eu le moindre contrôle sur ma vie, je n'avais jamais eu la moindre envie de devenir une autre fille que celle qui s'exprimait par questions. Par philosophie. Je ne voulais pas de cette vie que l'on me déstinait. Je voulais simplement arrêter de me faire du mal à moi-même simplement pour l'amour d'un garçon que je ne connaissais que depuis quelques jours. J'étais stupide, en fin de compte. 

      L'on me portait toujours alors que je m'obstinais à garder les yeux fermés, malgré les encouragements de mon père et les inquiétudes du chef de la police. Il semblait s'être lié d'amitié, ou de pitié, pour moi. Peut-être était-il sensible aux drames américains. Peut-être se croyait-il à la fin d'un de leur film. Mais nous n'en étions qu'au début. Et ce début promettait une fin horrible. N'allais-je pas finir par mourire, tout en démasquant l'auteur du message?

     C'est à ce moment-là que je m'endormis - enfin, sur mes pensées. Peut-être que le meilleur des mondes était celui des rêves. 

Souls of Alphas Où les histoires vivent. Découvrez maintenant