Un peu plus que la vie (TERMINÉ)

Chapitre 5

Sa maison n'était pas un palace, fallait pas exagérer. Mais elle était immense, à me rendre jaloux. La mienne était si petite en comparaison !

-Bon, par là-bas t'as le salon, la salle à manger, la cuisine... Y'a des toilettes aussi c'est la dernière porte au fond. Le reste bah c'est les chambres, etc. La mienne est à l'étage, on va travailler là-haut.

Je le suivis dans des escaliers en colimaçon, et il m'entraîna vers l'une des quatre portes d'en haut.

-Celle-là c'est ma chambre, et elle (il me désigna une des trois autres pièces) c'est la salle de jeu. La classe pas vrai ?

Je ne répondis pas. Sa chambre comportait un grand lit deux places, un bureau encombré, des enceintes, un mini frigo (un mini frigo!!), une table de nuit et un immense placard que je supposais destiné aux vêtements.

-Eeeeeet... J'ai ma propre salle de bains ! Plus petite que celle d'en bas hein, y'a qu'une douche mais elle est cool.

C'était "cool" comme il disait. Était t-il riche ? Jamais je ne poserais la question tout haut bien sûr. À la place, je demandais :

-Et y'a personne d'autre chez toi ?

-Ben, ma mère doit être à la cuisine, elle passe sa vie à cuisiner. Mon petit frère est au foot et l'autre est chez un ami. Ma grande sœur reste avec son mari le week-end en général, et mon père travaille, ou alors il est au bar, j'en sais rien. Ça te va ? répondit t-il, amusé.

-J'ai connu plus détaillé, plaisantais-je.

Bizarrement, j'étais un peu moins timide que d'habitude.

-Bon, on commence cet exposé ? fit t-il en souriant. T'as de la chance, c'est rare que je propose de travailler ! ajouta t-il.

-Je vois ça. T'as lu le livre au moins ?

-Pour qui tu me prends ? fit t-il semblant de s'offusquer.

-Hmm disons pour le gars le moins sérieux du lycée ? A peu de choses près.

-Ok ok je suis démasqué !

On rit tout les deux.

-En fait, je l'ai lu entre 5h et 8h du matin cette nuit, j'avais pas fini, m'avoua t-il.

-Tu as mis 3h ?

-J'étais bourré, donc j'ai bien pris le temps de le comprendre c'est tout.

Je souris malgré moi.

-Et tu penses avoir réussi ?

-Y'a qu'un moyen de le savoir !

-D'accord, alors tu veux prendre quel aspect de l'histoire ?

-J'en ai absolument aucune idée. Mais me regarde pas comme ça, je l'ai vraiment lu ! se rattrapa t-il.

-On pourrait travailler sur un des personnages mais il faut choisir lequel.

-Je propose Cyrano

Je le fixais. Il se moquait sûrement de moi. Est-ce qu'il m'avait invité seulement dans ce but ?

-Non, mais sérieusement, on pourrais faire sur lui ! Ceux qui vont beaucoup travailler vont prendre un autre personnage pour ne pas être comme tout le monde, et ceux qui vont bâcler le travail prendront le plus simple, donc le personnage principal. Du coup le notre sera d'autant mieux, en comparaison !

Pour le coup, j'étais vraiment interloqué. Sa réflexion n'était pas non plus digne des plus grand génies, mais c'était d'une logique implacable.

-Pourquoi tu fais croire à tout le monde que t'es con ? demandais-je sans réfléchir.

-Pour me fondre dans la masse. En réalité je suis surdoué et j'ai dirigé les attaques informatiques de ces dix dernières années !

-Pfff...

-Je suis pas con, mais pas intelligent non plus. Ça te va comme compromis ?

-Ça me va !

-Ok, alors tu penses quoi de Cyrano ?

-Toi d'abord ! fis-je, histoire qu'il ne récupère pas mes idées.

-D'abord, je pense que c'est un gros con. Et commences pas avec tes yeux accusateurs, ok ? Je formule comme je veux. C'est un con parce que le gars sait écrire des poèmes et se battre à l'épée, il a de la réplique, de l'humour et tout et tout... Mais comme il a un gros nez, il se croit le pire du monde ! Si j'étais lui, j'aurais écrit des poèmes anonymement a cette conne de Roxane qui comprend rien à sa vie (et qui d'ailleurs sait pas reconnaître les voix). Ensuite elle aurait kiffé sa putain de race et il aurait avoué son amour ! Point final.

-T'oublies qu'il y a Christian, qu'elle trouve beau et qui la trouve belle. Elle aurait pu penser que c'était lui !

-Bah Cyrano le tue, c'est tout !

-Elle lui aurait jamais pardonné d'avoir tué celui qu'elle aimait !

-Elle peut pas l'aimer juste parce qu'elle le trouve beau, c'est con !

-Bah c'est un peu ça dans notre société... T'es jamais sorti avec une fille que pour sa beauté, fais-moi croire ? lâchais-je, avec un peu trop de violence.

-Sortir et aimer, y'a rien à voir.

Sa réponse était sans appel, et le pire c'est qu'il avait parfaitement raison. Comme un imbécile, j'avais fait une comparaison foireuse.

-Bon, j'ai faim, grogna t-il.

C'était un excellent changement de sujet et je sautai sur l'occasion :

-J'avoue, tu m'avais pas promis un goûter ?

-Tu me prend pour un homme de parole ?

-Plutôt pour un mythomane lunatique, t'as raison.

Il ricana.

-Viens on sort au pire, on bouffe une glace et on reprend non ? Ça nous fera le goûter !

-Mais j'ai pas pris d'argent, je pensais pas en avoir besoin ! dis-je, déconfit.

-T'inquiètes je te l'offre allez je m'en fous

-Tu serais devenu galant ? plaisantais-je.

-Nan, on est galant qu'avec les femmes et t'en est pas une pas vrai ? Et comme je suis pas un pédé bah...

-Arrête utilises pas ce mot, grognais-je, en plus ça veut...

-...dire pédéraste, "qui aime les jeunes garçons", je sais, je sais, je sais !

-Pourquoi tu l'emploies alors !

-C'est l'habitude c'est tout

-C'est stupide

-Je suis stupide, t'avais oublié ? Allez viens !

Le glacier le plus proche vendait absolument tout les parfums de glace qu'on pouvait imaginer. Ils avaient mes parfums préférés, framboise et fruit de la passion ! Mais je me doutais que si je choisissais ça, Iliès allait encore se moquer de moi...

-Bon, tu choisis ?

-Je te rembourserai alors, dis-je, borné.

-Qui est stupide maintenant ?

-Un cornet double chocolat noir- menthe, s'il vous plaît ! fis-je en me tournant vers le glacier.

-Et moi un cornet double framboise mangue svp merci, fit Iliès simplement.

Je n'en revenais pas. Sur ce coup, j'avais été stupide avec mes vieux préjugés bidons. Je m'en voulais. Je le remerciais et on se dirigea vers un banc pour manger cette glace "de la paix".