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SIRIUS
PARIS , ORSAY

-00:26-
-25 j u i n d e u x - m i l l e s s e p t-

- Elle pue la merde cette ville. C'est trop grave.

Elle balbutia ces quelques mots sur l'épaule de Ken, qui depuis une quinzaine de minutes portait la plume sur son dos. Il l'avait vu assise, dans un coin, au milieu de cet appartement. Toute seule, avec une bouteille comme seul lot de consolation.

Il l'avait eu, sa confirmation. Elle était triste cette fille.

Mais il tenait tant à savoir pourquoi. Il refusait de croire qu'elle endurait la même peine que les autres filles qu'il avait eu l'occasion de fréquenter. C'était une pensée qu'il ne s'était vu assumer qu'une seule fois, et dont il avait honte, mais il espérait rencontrer quelqu'un qui, pour la première fois, ne souffrait pas comme lui, mais d'un chagrin qu'il ne pouvait reconstruire, ni vraiment saisir.

- Arrête, c'est la plus belle ville du monde, contredisait le brun à l'attention de son idéal féminin.

- Tu mens.

- Y'a tout pour t'faire rêver, ce n'était pas vraiment la raison principale pour laquelle il aimait Paris, mais il se contentait de son argument.

- Justement, c'est trop. On dirait une blague cette ville.

- Qu'est ce qui t'fais dire ça ?

- Tout est faux, un vélo passait devant leurs yeux, coupant son récit, regarde. Un vélo toutes les dix secondes, un café tout les 200 mètres, on dirait que tout a été créé au centimètre près pour satisfaire l'idée de la perfection.

- C'est pas le Truman Show Céleste, il rigolait en l'entendant exprimer son opinion, je t'assure que tu vois la ville du mauvais côté.

- Je t'assure que non, c'est elle qui est mauvaise.

Ken souriait en s'imaginant que son nom de famille avait sûrement dû lui causer son mal de la ville.

- C'est pas parce que tu l'as regardé par la fenêtre de ton palace que tu peux te permettre de la trouver nulle. C'est sûr que vue d'en haut... Tu vis pas le truc en vrai.

Les dents de Céleste grincèrent, et pour une raison qu'elle ignorait, elle se sentait offensée.

- Repose-moi.

- J'te parle juste d'une réalité Céleste, j'comprends pas pourquoi tu t'vexes. Depuis quand être riche c'est un défaut ? Passe-moi ton appart hein, moi j'veux bien !

Elle se sentait offensée, parce qu'elle savait qu'elle incarnait les clichés qu'elle méprisait avec ignorance. Elle aimait la réalité que quand elle sortait de sa bouche. Autrement, elle était moins jolie quand elle provenait d'autrui.

- Fais-moi aimer Paris alors.

Elle s'arrêta comme la première fois qu'il l'avait raccompagné, au milieu de l'immense Boulevard Raspail qu'ils étaient en train de remonter. Elle le confrontait. Elle le savait, en le regardant de la tête aux pieds qu'il avait sûrement un peu moins d'argent qu'elle, mais pas de quoi dramatiser, toute la différence était dans la mentalité.

- Quand tu seras sobre.

- Mais j'ai pas envie de rentrer maintenant, répondit-elle en s'arrêtant une seconde fois.

Ken avait un couvre-feu, une limite pour rentrer qu'il était déjà prêt à froisser rien que pour raccompagner cette fille, et peut-être, avoir une troisième chance à ses côtés. Mais plus il voyait ses envolées capricieuses, plus il se demandait si il ne serait pas plus sage de la laisser sur le trottoir achever sa route toute seule.

- J'suis sur que tu sauras attendre, trancha-t-il en attrapant sa main pour la faire avancer.

Un sourire mesquin sur le coin du visage, Céleste n'avait pas l'air de critiquer une future marche à ses côtés. Ken en était ravi, mais pas tout à fait certain de voir l'opportunité se représenter.

Ils marchèrent une dizaine de minutes avant d'arriver devant la porte en bois clair de l'immeuble de Céleste. Elle avait ralenti sa cadence car remonter tous les étages, c'était une routine qui clôturait tous ses souvenirs, sachant très bien que celui-ci en était un nouveau. Elle était rentrée par cette porte après s'être égratignée le genou aux rollers, elle était rentrée par cette porte en pleurant la première fois qu'un garçon l'avait trompé. Et encore, cela avait plus facile pour elle de s'en relever.

- Prends soin d'toi Céleste, lança-t-il en direction de la fille qui tapait son code pour pousser cette même porte, comme la première fois.

- Ken ?

Il acquiesça en rangeant ses mains dans ses poches.

- T'es là pendant les vacances d'été ?

Il acquiesça une seconde fois en passant cette fois-ci sa langue sur ses lèvres pour les humidifier.

- T'as deux mois pour me faire aimer Paris.

Elle passait ses deux jambes de l'autre côté de la porte sans prendre en compte sa réponse, qui s'était étouffée par le bruit quand celle-ci s'était refermée.

De toute manière, ça n'avait jamais été une question.

nova (nekfeu)Where stories live. Discover now