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JEANNE
PARIS, CLAUDE-BERNARD

-23:14-
-23 a o û t d e u x - m i l l e s s e p t-

Tu te rappelles de nos rollers ? Ils étaient roses.

J'avais acheté les mêmes que toi après les avoir demandé à Noël. Je m'en rappellerais toute ma vie, je crois bien. Papa avait mit presque tout l'argent qu'il avait de côté pour me les acheter. Mais je t'idéalisais déjà bien trop pour m'en soucier.

C'est à partir de ce moment là qu'elle a commencé, ma vie. J'avais sept ans quand j'ai commencé à te voir autrement. Peut-être même avant, je ne sais pas. Peut-être même la première fois que tu as froissé mon regard.

J'ai toujours aimé qu'on m'adule. Mais la seule chose dont je n'ai jamais douté en dehors de mon amour pour toi, c'était ma différence. Je savais qu'aucune louange ne me parviendrait si je l'exposais. Mais chez toi, c'était comme intuitif. Tu savais plaire aux autres avec une aisance que personne ne saura jamais égaler, et cupidon m'avait tiré sa flèche sans la jeter sur toi en retour. Aussi aphrodisiaque que le chant des sirènes de l'Odyssée, tu nous faisais tous tomber, un par un, et personne ne savait comment te résister.

Je voulais que l'on m'aime de la même manière que les autres te recouvraient de louanges, alors, j'ai suivi tes pas. J'ai tout appris de toi, j'ai dissimulé l'intégralité de mon ardeur pour te la réserver, qu'elle soit pure, bénie par l'ivresse de tes mots.

Je me suis dis que le jour viendrait, celui où tu tomberais toi aussi dans mon escroquerie. Mais je t'ai vu enchaîner les prétendants, te soucier de quelques uns, et, l'âme que je te réservais disparaissait peu à peu sous la douleur que tu m'infligeais. Je plaisais aux autres. Mais ils n'aimaient qu'une image de moi-même qui n'était pas moi, simplement le fruit de mes fantasmes, ceux qui enivraient mon corps qui cherchait désespérément le tien.

Pardi, Dieu sait que je me haïssais.

Je me détestais de t'aimer. Je me détestais de ne pouvoir me détacher de toi, contrainte à errer à tes côtés sous un amour qui ne verrait jamais le jour, ni les cieux. Ça, non, je ne pourrais jamais le laisser périr. Il était destiné à briller pour toujours,
c'était écrit dans les étoiles.

Les étoiles m'avaient appelé Jeanne, grâce de Dieu. Mais j'avais misérablement échappé à sa protection. J'étais convaincu qu'il ne m'aurait pas fait grâce d'un amour si fort si il me portait autant dans son cœur, comme je portais le tien. Et j'en arrivais à la honte.

Pour mes rollers, papa avait donné bien plus qu'un peu d'argent de sa poche qu'il n'avait pas. Il m'avait tout offert, pour me permettre de grandir là où j'étais sûre de ne manquer de rien. Je n'avais manqué de rien. Papa avait sacrifié sa vie pour la mienne en remerciant Dieu à tous les repas, et moi, tout ce que j'avais su lui rendre en retour n'était qu'une multitude de péchés que j'avais cessé de compter.

J'étais différente. Sûrement trop. Bien trop pour toi. Et tant bien que j'ai essayé de te faire aller à l'encontre de ta nature, j'ai vite compris que c'était la mienne qui allait à l'encontre de toutes les attentes. Je ne pouvais pas te changer, Céleste. Je t'avais dans la peau, pour toujours. Au sens propre et au sens figuré; j'avais encré mon dos de tes cauchemars. Le dessin que tu n'as jamais cessé de faire.

J'en décevrais certainement plus d'un. Mais je ne voudrais jamais que les gens te blâment à ma place, alors j'ai tout brûlé. Tout ce qui pouvait aller à ton encontre, tous les mots charnels que j'avais griffonné sur une feuille en papier, tous les souvenirs à souffle coupé bloqués dans une boîte, tout ce que les gens utiliseront contre toi en remettant la faute sur mon coeur brisé, brisé par ton cœur. Peut-être que dans cette vie, je n'étais pas faite pour briller dans la tienne. Dans une autre, j'en avais l'espoir, et la certitude.

Je me métamorphoserais.







Et si un jour on me demande pourquoi j'ai décidé de basculer cette chaise, la corde autour du cou, je répondrais, par amour.

nova (nekfeu)Where stories live. Discover now