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CÉLESTE
PARIS , OBSERVATOIRE

-01:55-
-29 j u i n d e u x - m i l l e s s e p t-

Je marchais sur la pointe des pieds pour ne pas faire grincer les marches en bois de l'escalier de service, reliant la cage d'escalier de l'immeuble à ma cuisine. C'était notre technique avec Ulysse pour pas se faire cramer par le daron.

MESSAGE
-destinataire : ulysse-
tu peux m'ouvrir la porte stp

Je croisais les doigts pour qu'il soit encore réveillé, et que je me dispense de passer par l'immense porte en chêne adjacente à la chambre de mes parents.

Je ne rentrais pas plus tard que les autres soirs. Rien avait changé dans mes habitudes, le retour avait été le même.

Talons à la main, mascara qui coulait légèrement et odeur de tabac froid imprégnée dans les fibres de mes vêtements. Mais une habitude n'avait pas fait son apparition, elle s'était égarée entre la piste de danse et les escaliers en pierre pour remonter la berge. J'avais ressenti la même sensation que celle qui survenait régulièrement enfant. J'avais toujours été une enfant déprimée, ma mère s'en était d'ailleurs inquiétée. Médecin, psychologue, psychiatre ; rien n'y faisait, ils m'avaient simplement diagnostiqué de l'anxiété, ne répondant pas aux questions de ma mère, et au pourquoi je ne souriais jamais comme les autres enfants.

Mais déprimée n'était qu'une facette. Petite, j'étais légère. Je détestais la vie, mais je m'adorais moi. Et si je le manifestais sur mon visage, c'était partager mon bonheur aux non méritants, les seuls qui auraient pu le détruire.

Et cette nuit avec Ken, à longer les rues éclairées aux lampadaires et à traverser des sentiers abandonnés fut d'une toute autre nature. Celle que j'avais longtemps cherché, sans jamais trouver le bon endroit pour poser mon doigt. Je retombais en enfance lorsque je n'aimais pas la vie, mais je m'adorais moi.

Et au lieu de me rendre heureuse, cette sensation que je croyais éteinte ne faisait que perturber ce déséquilibre habituel qui avec le temps, était devenu miroir de ma réalité.

J'entendais les grincements du parquet hargneux, me signifiant que mon frère se trouvait de l'autre côté de la porte. Il attrapa la poignée dorée dans sa main pour la faire tourner lentement, avant de me retrouver face à lui.

D'un signe de main, il m'invita à le suivre jusqu'à à sa chambre, un rectangle roulé en un cylindre entre les lèvres.

- J'étais en train d'me rouler un bail. Tu viens ?

J'acquiesça en suivant ses pas sur la pointe des pieds, veillant à bien refermer la porte derrière moi. Ulysse avait dans sa chambre un rebord de fenêtre où l'on pouvait s'asseoir comme une banquette, je m'y installais face à lui en réunissant mes jambes contre mon torse tout en admirant la vue.

J'étais navrée de constater que la ville n'avait pas changé à mes yeux, mais je ne pouvais nier qu'elle me paraissait plus intrigante, et peut-être qu'avec un peu plus d'efforts, je finirais par croire Ken, ou lui finirait par me croire que cette ville n'était qu'une prouesse des malheureux, leur ville rêvée destinée à effacer la mélancolie de leurs âmes.

- T'étais où ?

- En soirée sur les quais, répondis-je en gardant dans ma lucarne la ligne d'horizon, tandis que Ulysse actionnait son briquet pour allumer le joint qu'il tenait au bout de ses lèvres.

Il ne me posait pas plus de question et moi non plus, trop occupée par mes esprits chanteurs qui divaguaient aux quatre coins de ma tête.

Qu'est ce qui tournait pas rond chez moi ?

Ulysse me tendait son joint avant de taper deux fois dans le creux entre ses genoux pour que je m'y cale. Je tirais une taffe en faisant retomber les cendres consumées par la fenêtre.

Il entendait ma respiration lourde et presque triste, même l'air que j'inspirais une fois dans mes poumons implorait le diable pour s'en échapper au plus vite. Même l'air ne voulait pas vivre dans ce corps, le même qui subissait l'étrange sensation de la gorge serré, du ventre noué et des yeux qui se refermaient petit à petit, trop pressés de s'éteindre, trop souffrants pour la survie.

Ulysse prit sa main dans la mienne en sentant que mes respirations se faisaient de plus en plus fortes, que la cadence s'accentuait de plus en plus, que le souffle coupé, j'essayais de vivre normalement, de voir la vie normalement.

C'était la pensée la moins stupide que j'avais en moi. Je voulais être normale, vivre comme eux.

- Calme..Il chuchotait à mon oreille, ferme les yeux Céleste..

Il passa sa main contre la longueur de mon bras en gardant son sang-froid, comme toujours, pour me faire croire que tout allait bien et que la Lune était toujours en orbite. Ulysse était bien plus fort que moi.

Je posais ma tête dans le creux de son cou en échappant ma première larme, plus la deuxième.

Puis venait l'éclat. Le torrent, la foudre, qui exterminait Paris et son ange déchu. Je pleurais. Mais mes larmes étaient semblables à une tempête, tant elles étaient mauvaises.

- Ah ouais.. C'est ça, la vie ?

Je passais ma langue sur mes lèvres en goûtant à une larme qui avait roulé jusqu'a celles-ci. Elles étaient chaudes, amers et sales.

- Je sais pas si j'tiendrais plus longtemps Ulysse, trancha-je en m'écroulant pour de bon dans ses bras.

Je ne voulais pas quitter le monde. Je voulais juste savoir pourquoi j'y avais atterri comme un cadeau empoisonné.

Je n'aurais jamais choisi cette planète.

Dès la première lueur qui s'était plantée dans mes yeux, je savais déjà à cette époque que je voulais être loin des hommes.

💋

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nova (nekfeu)Where stories live. Discover now