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CÉLESTE
PITIGLIANO, AILLEURS

-15:56-
-06 a o û t d e u x - m i l l e s s e p t-

Je revoyais Milo plus que je ne l'avais prévu. On se retrouvait souvent au même moment au champ, et puis on terminait toujours par une excursion dans les environs. Il m'avait montré plusieurs endroits de la région: des lacs, des montagnes, des ressources et d'autres champs.

Sa présence avait quelque chose de spécial pour moi. Avec lui, j'arrivais à parler comme j'arrivais à parler à Jeanne. Presque, je ne cessais de parler tant j'avais de choses à lui dire alors que mon italien était loin d'être parfait. La barrière de la langue jouait beaucoup aussi dans notre relation, je n'étais pas tout à fait la même Céleste en français et en italien, j'étais plus libre, plus joviale, plus heureuse. Et je mentirais si je disais que ce n'était pas pour mon bien.

- Tourne à gauche ! S'écria-t-il car j'avais pris de l'avance sur lui sans connaître le chemin.

- Tu m'emmènes où encore ?

- Tu verras.

Et plus je passais du temps avec lui, moins j'avais de remords. Il m'attirait. C'était un fait, et je ne pouvais rien y faire à part me mentir à moi-même sur les sentiments que j'avais rencontré. Il m'était tombé du ciel, comme ça, et même si ça allait vite entre nous, je me sentais plus libre que je ne l'avais jamais été.

Mais Ken revenait toujours dans ma tête, comme si il passait devant mes yeux pour me rappeler que lui aussi existait. Qu'il y avait aussi pour lui que j'éprouvais. Que ce n'était pas parce que nous n'avions jamais mit de mot sur ce qu'on était que j'étais en droit de le trahir de la sorte.

Il comptait aussi pour moi. Même si ça m'effrayait.

- Arrête ton vélo ici, on continue à pied.

Je freinais lentement pour garer mon vélo là où il m'avait indiqué. Il s'arrêta à côté de moi quelque secondes plus tard en faisant retomber le sien au sol brutalement, n'ayant pas de béquille.

- Tu m'suis ?

- J'crois que j'ai pas le choix.

Il me prit par le bas du dos pour m'entrainer vers une forêt qui à quelques endroits abritait le soleil qui jouait à cache-cache, se reflétait sur les branches des arbres de parts et d'autres.

Une fois le bout du chemin marqué, il s'arrêta en s'asseyant sur l'herbe fraîche qui n'avait pas été taillée depuis un temps certain. Je m'installais à ses côtés en tournant mon visage vers lui, l'observant fixer l'horizon. C'était une rivière qui passait le long de la flore, encore plus paisible que notre champ de blé. Il n'y avait que le ruissellement de l'eau et le sifflement des oiseaux pour bercer l'atmosphère, ainsi que son souffle que je sentais sur mes cheveux une fois que j'avais posé ma tête contre son épaule. Je fermais les yeux et inspirais l'air purifié bien disparate à celui souillé de la capitale française.

Mes pensées étaient aussi vagues et polluées que cette ville. Je la détestais, et puis j'avais fini par lui trouvé quelque chose, ce charme que les autres présageaient.

J'étais devenue comme les autres. Une ignorante, comme les autres.

Avant, je m'adorais. Et puis j'ai fini par me détester autant que je détestais la pierre de taille. Comment pouvais-je être aussi minable de trahir sans aucune pitié tous ceux qui avaient daigné m'aimer, alors qu'ils ne s'appréciaient même pas eux-mêmes ?

J'avais trahi Ulysse, Sophia, Salomé, Béatrice, et enfin, Ken.

Presque.

Pourtant, je ne ressentais aucune envie de m'éloigner du danger. Il n'y avait que ma morale et les normes que je m'imposais qui me limitaient dans mes actions.

- Tu penses à quoi ? Se retournait Milo vers moi avec son sourire que j'avais commencé à dessiner dans mon carnet la veille.

- À Paris.

- J'ai toujours rêvé d'aller à Paris.

- J'aurais aimé être une de ses touristes, plutôt.

J'aimais m'imaginer partout, sous n'importe quelle forme, sauf la forme humaine. Une étoile, le temps, un grain de sable, l'autre face de la lune. Des choses indescriptibles, indisponibles, illusoires. J'aurais aimé agir correctement, moralement, pas comme les autres qui ne cessent d'user de leur indécence jusqu'à en épuiser les réserves. J'en étais venue à bout, j'avais franchi mes limites, si bien fallait-il qu'elles aient vu le jour.

- C'est à dire ?

- C'est pas comme ici où t'as zéro pression, personne attend rien de toi.. Là bas, on dirait que tout le monde te pointes du doigt, même les immeubles. Tu te sens observée, jugée, t'as l'impression que t'as le monde entier contre toi. Et même quand tu penses rencontrer des bonnes personnes, t'as toujours cette pression et ce qu'on attend de toi qui te bouffes. Alors là-bas, j'ai toujours un peu tendance à tout gâcher parce qu'on attend des choses de moi que je suis pas capable d'offrir, j'préfère me protéger avant que ce soit eux qui me blesse. Alors je fais du mal. J'me fais du mal. Mais au fond, c'est la ville qui me fait du mal.

nova (nekfeu)Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz