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SIRIUS
PARIS , GARE DE LYON

-15:17-
-08 j u i l l e t d e u x - m i l l e s s e p t-

Elle prit Jeanne dans ses bras en la serrant de toutes ses forces, comme chaque été où elle s'envolait vers l'Auvergne. C'était toujours comme si c'était la dernière fois qu'elles se voyaient, alors qu'elle savait que Jeanne l'attendrait devant chez elle, avant même que son avion atterrisse à Charles de Gaulle au retour de ses vacances à elle.

- J'arrive pas à croire qu'elle m'ait dit ça, souffla notre blonde qui se repassait les événements récents de chez Béatrice.

Elle était venue avec toutes les meilleures intentions du monde.

Elle avait toujours eu toutes les meilleures intentions du monde envers elle.

Et elle avait eu l'impression de s'être fait postillonner à la face ce qui n'osait pas sortir de leurs bouches depuis des mois, ce que toutes pensaient d'elle.

- Si j'avais été là, comment j'laurais baffé, rajouta Jeanne en tirant une taffe sur sa clope.

Jeanne avait esquivé la réunion car d'après ses dires, la sonnerie de son téléphone portable n'avait pas été assez puissante pour la réveiller.

La Lune se rappelait du Soleil étincelant, incapable de froisser une mouche. Parfois, par excès de colère, se voyait refouler toute sa haine dans ses larmes, mais sans jamais la répercuter sur les gens.

Mais l'air avant changé, la brise lourde qui régnait autrefois avait changé d'odeur, de couleur, de sentiments.

Tout était si différent. Là où elle pensait qu'il y avait déjà trop de problèmes à l'époque se voyait rajouter une couche, de la même manière que sur sa tour d'échecs.

Tout s'enchaînait. Tout se multipliait. Mais rien ne se rattrapait.

- Ça s'passe avec Ken ? Lui demanda-t-elle en scrutant l'horloge extérieur de la grande gare, son train partant dans une quinzaine de minutes.

- Ça va, elle haussait les épaules en se demandant si elle avait bien fait de le mêler à son monde extérieur.

- Tu le pécho hein quand j'suis pas là ? Et tu m'appelles, tu m'racontes tout, j'veux rien manquer !

Céleste acquiesça en se rallumant une deuxième cigarette juste après avoir écrasé son mégot, chose qu'elle avait cessé de faire depuis un bout de temps.

Mais l'angoisse, l'anxiété était présente. Elle l'avait toujours été, dans n'importe quelle circonstance. Elle régnait sur elle comme le drapeau des États-Unis plantée dans son abdomen, dans un des cratères de l'astre qu'elle incarnait.

- Eh, Jeanne ? J'angoisse.

- Pourquoi ?

Sa gorge se nouait, elle voulait lui dire tout un tas de choses, lui sortir tout ce qu'elle avait dans le coeur, mais lui avoir dit mot pour mot qu'elle angoissait était suffisamment traumatisant, rien ne voulait y sortir. Même si c'était sa meilleure amie.

Il n'y avait que ses mains tremblantes, comme toujours incontrôlables, pour témoigner de ses souffrances.

- J'sais pas, j'sais pas, j'sais pas, répéta-t-elle sans distinction entre ses rêves et la réalité. Sa vision se brouillait, elle avait l'impression d'ouïr comme le cri strident d'une sirène dans ses deux oreilles.

C'était le début de sa crise d'angoisse. Elle le sentait. Elle ne pouvait le contrôler.

Mais Jeanne devait partir. C'était pas le moment.

C'était jamais le moment.

- J'sais pas c'qui m'arrive putain, aide, aide, nan, nan j'ai rien dis, pars. Profite de tes vacances Jeanne, ça va aller, je t'appellerais, tout va bien se passer, tout va bien se passer, oui, oui, tout va bien se passer, non, oui, non..

Elle n'arrêtait pas de regarder autour d'elle, encore plus angoissée de fait que Céleste avait l'impression que tout le monde ici la dévisageait, tous les gens devant la gare la regardait perdre tous ses moyens, de sa jambe à ses doigts qui retenaient sa cigarette.

Elle ne pouvait pas arrêter de trembler. Tout ce qui pouvait arriver, c'était des larmes, toujours des larmes, tant elle ne pouvait comprendre pourquoi son corps devait constamment réagir de la sorte, indéfiniment.

- Céleste, je t'aime, tu sais ?

Jeanne savait que l'heure tournait et qu'elle voulait à tout prix échapper à cette ville, laisser son père sur son canapé le temps d'un mois.

Mais elle ne fit même plus attention à l'horloge, voyant le corps de Céleste répondre à sa place. Elle avait toujours été incapable de s'exprimer avec des mots, des vrais, ceux qui font plus mal une fois à l'extérieur que logés entre les poumons et l'aorte.

Elle attrapa rapidement la main de sa meilleure amie pour l'emmener sur des marches, là où il y avait relativement peu de passage, en logeant la tête de Céleste dans le creux de son cou pour lui chuchoter ce qu'elle aurait toujours rêvé qu'on lui dise.

Jeanne aussi, souffrait, infiniment.

Elle, son Soleil, n'était pas Céleste. Son Soleil était celui qu'on qualifiait de protagoniste terrestre, notre créateur, celui qui allait bien plus haut et qui rayonnait bien plus fortement que n'importe quel source lumineuse.

Céleste était bien plus qu'un Soleil à ses yeux.

- Tout va bien, Cé'. Tout va bien.

- Mais pourquoi j'y arrive pas ? Pourquoi ça devait tomber sur moi ?

Céleste avait toujours eu l'impression de souffrir sans raison apparente. Mais elle angoissait par les outrages de son père, les réflexions de Béatrice, les vacances de Jeanne et surtout, devoir embrasser un garçon de la même intensité qu'elle avait pu partager avec l'autre, celui qui l'avait, et qu'elle avait, fait souffrir.

- Tu vas rater ton train. Tu peux pas rater ton train.

nova (nekfeu)Onde histórias criam vida. Descubra agora