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CÉLESTE
PARIS, EDGAR QUINET

-15:52-
-15 a o û t d e u x - m i l l e s s e p t-

- Camp catho quoi, comme tous les ans. Pas de tel, messe deux fois par jour, œuvres caritatives, tu connais la chanson, elle me racontait timidement en sortant du glacier, sans vouloir approfondir les détails de sa colonie de vacances qu'elle appelait «l'enfer», alors que je savais très bien au fond d'elle qu'elle était toujours un peu excitée à l'idée d'y aller. C'était comme son excuse à elle pour ne pas avoir à confronter Paris.

- Il s'est rien passé cette année ? Je lui répondais en fronçant les sourcils car d'habitude, elle avait toujours tout un tas d'histoires avec des garçons à me raconter.

- Non, rien, c'était juste chiant. Et toi, t'es contente d'être rentrée sur Paname ?

- J'ai revu Ken hier, il est venu en bas de chez moi, je racontais en léchant la goutte de glace qui avait coulé sur mon cornet. Il m'a emmené manger une crêpe nutella à Saint-Michel et puis on a marché jusqu'aux quais d'Austerlitz, mes préférés.

- Vous êtes trop mignons, Jeanne me prenait dans ses bras en s'asseyant sur notre banc. Je venais tout juste de retrouver ma meilleure amie, après près d'un mois passé loin d'elle à pouvoir lui raconter les moindres détails d'histoires qui n'intéressaient personne, hormis elle. Et c'était comment alors l'Italie ? Raconte-moi !

Je lui fis les grands yeux pour lui faire comprendre que j'avais bien plus à lui raconter qu'elle ne pouvait s'imaginer.

- J'ai un peu merdé.

- Comment ça t'as merdé ? Elle haussait un sourcil en se plaçant à califourchon sur le banc.

- J'ai pas voulu te le raconter en appel, et puis c'était galère vu que tu devais te cacher pour m'appeler, mais j'ai rencontré un mec.

Elle écarquillait grand les yeux en attendant que je continue mon discours, sachant pertinemment qu'elle rédigeait déjà dans sa tête la leçon de morale qu'elle comptait m'avancer:

- Je commence depuis le tout début ? Elle acquiesça. J'étais partie au champ dès que je suis arrivée parce que je me sentais pas bien, avec Ken, le bac, Hugo, tout ça c'était devenu trop de pression, j'avais juste besoin d'extérioriser un peu. J'sais pas pourquoi, mais j'étais plus trop sûre de ce qu'on était avec Ken. C'était tellement parfait Jeanne, t'as pas idée.

- Trop ?

- J'pense. Je soupirais pour reprendre mon récit, et au champ j'ai rencontré un mec. C'était encore plus cliché qu'avec Ken et moi, mais avec lui, ça paraissait plus.. réel. Il m'a direct compris, il a voulu me comprendre, il m'écoutait parler. Tu te rends compte ? J'ai réussi à étaler toute ma vie alors qu'en même pas deux semaines, ça reste un inconnu.

- Et ?

- Il m'emmenait partout, un peu comme Ken finalement. Mais y'avait ce truc avec lui que y'avait pas avec Ken, et ce truc avec Ken que y'avait pas avec lui. Puis Ulysse est rentré à Paris, il se sentait pas bien. J'pense que c'est à cause de Giulia, t'sais sa meuf, mais j'suis pas certaine. On se parle moins.

- Ah ouais ?

- Il garde grave ses distances en ce moment j'sais pas trop pourquoi. 'Fin, j'ai pas essayé de comprendre non plus.

- Chelou, elle haussait les épaules en tapant un croc dans son cornet.

Hier, je suis rentrée un peu tard. Je l'ai croisé dans la salle de bain, on s'est brossés les dents en même temps sans s'adresser un mot, hormis un « bonne nuit ». Il a refermé la porte de sa chambre directement, alors je suis retournée dans la mienne. J'ai dessiné à ma fenêtre avec Omelette sur mes genoux qui ronronnait, avec le blues d'avoir dû quitter Ken à l'horaire que ma mère m'avait accordé. J'étais toujours indécise par rapport à la situation. Mon cœur battait parfois pour l'un, et d'un seul coup il pouvait chavirer pour l'autre.

Je savais que c'était malsain, mais ça l'était autant que mon cœur était hors de portée.

- Et avec le mec du coup ?

- Il s'appelle Milo. Tout se passait bien, même si j'savais très bien que ça avait l'air en rien à une amitié. J'men souciais pas trop, j'voulais pas trop confronter ma réalité. C'était très bien comme c'était, avant que j'revienne.

- Tu l'as embrassé ?

Je fis un non de la tête, ce qui la soulagea.

- Il a essayé de m'embrasser, mais j'me suis barrée. Il a fait que m'appeler, m'envoyer des messages et j'ose même plus les lire. J'ai l'impression d'avoir vraiment merdé Jeanne, j'me sens presque aussi coupable qu'avec Hugo.

C'était il y a un an, et pourtant, je me rappelais de mon premier cœur brisé comme si c'était encore la veille. Ça n'avait pas été si difficile de trahir Ulysse, mais plutôt de le lui cacher. Je ne m'en étais voulue qu'une fois que mes sentiments s'étaient éteints, que j'avais réalisé que sortir avec un garçon plus âgé que moi ne m'avait pas rendu mes ailes, et ne me les rendrait jamais.

Jeanne avait été la seule à m'épauler, sans pour autant avoir toléré le péché que j'avais commis. Elle savait juste que l'amour m'avait tué. Ça lui suffisait. Elle ne s'était donné qu'une seule mission ; me sauver.

- Et avec Ken ? T'es comment maintenant ?

- Bien. Vraiment, vraiment bien. Il était tellement gentil hier, t'as même pas idée Jeanne à quel point c'est un amour. Mais j'ai peur de mon cœur, parce que si j'ai été capable de m'attacher à quelqu'un d'autre que lui, qui te dis que je pourrais pas le refaire une seconde fois ?

Elle acquiesçait à mes dires en repassant ses deux jambes de l'autre côté du banc, puis posait sa tête sur mon épaule en me chuchotant que « tout ira bien ».

Tout ira bien.

Je crois.

nova (nekfeu)Where stories live. Discover now