Chapitre 4

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La maison ressemble à une Cocotte-Minute. Depuis une semaine, elle bouillonne, siffle et toute la famille porte un teint rouge d'excitation. Maman fait tout dans la précipitation, tandis qu'à l'inverse, Papa agit dans la retenue. Il tente de garder la tête froide. Sa première action fut de prolonger la location de la machine, prétextant qu'il avait trouvé de l'eau et qu'il souhaitait construire un puisard digne de ce nom. Depuis, Papa troue le sol de notre propriété comme s'il s'agissait d'un gruyère.

En une semaine de travail, Papa a récolté une vingtaine de nouvelles pépites, la preuve que nous sommes dans une veine. De tailles beaucoup plus modestes, elles ne pèsent que quelques grammes et sont évaluées à environ cinq cents dollars chacune.

Aujourd'hui est un grand jour, nous avons rendez-vous en fin d'après-midi chez un négociant de Melbourne pour vendre nos premières trouvailles. Papa espère obtenir une petite fortune. Un demi-million de dollars australiens. De quoi régulariser nos impayés, financer la construction d'une véritable galerie et dans tous les cas, sécuriser notre avenir.

Depuis notre découverte, la nouvelle s'est répandue comme un feu de forêt. C'est un peu de ma faute car c'est moi qui ai impliqué Randall dans le forage. Je me souviens de ce fameux jour où je lui ai envoyé le message. À son réveil, Papa avait surpris Randall en train de poursuivre son travail.

— De quel droit te permets-tu de creuser chez moi !!! lui avait-il lancé.

Très surpris, la réponse de Randy fut simple, il lui montra le texto reçu. Les deux hommes pivotèrent dans ma direction, ils avaient compris. Depuis, Randall a changé d'attitude envers moi. Il me lance des œillades étranges et il n'est pas le seul. Lorsque je fais les courses avec Maman, je ressens des regards pesants dégouliner sur mes épaules. Non seulement les gens sont au courant pour l'or, mais en plus, ils posent des questions à mon sujet.

Le carillon retentit.

— Encore ?! s'écrie Maman.

— Laisse, j'y vais.

Papa se dirige vers la porte d'entrée. Il vérifie son arsenal. Une machette, un marteau de charpentier et son fusil de chasse, un calibre 12 juxtaposé. Il parait que l'or peut rendre les hommes fous, alors depuis, Papa nous protège. Prêt à dégainer, il ouvre d'un mouvement sec.

— Bonjour...

J'entends une voix inconnue, celle d'un jeune garçon.

— Bonjour monsieur, j'ai essayé de vous contacter à plusieurs reprises pour annoncer ma visite...

— Nous ne répondons plus au téléphone, nous n'avons pas le temps.

— Ce n'est pas grave, je me suis déplacé car je devais vous parler. Au fait, j'ai laissé mon vélo à côté de votre voiture, j'espère qu'il ne vous gênera pas...

Papa hésite, visiblement embarrassé.

— Écoute mon garçon, nous t'aurions reçu avec plaisir mais c'est un très mauvais jour, nous devons nous absenter dans quelques minutes.

— Monsieur, c'est très important, c'est à propos de Sydney.

Je sursaute, mon père se raidit.

— Ma fille ?

— Oui, je dois vous mettre en garde...

Le visage de Papa se ferme. Depuis que des rumeurs courent à mon sujet, il se comporte de manière très défensive.


— Je vous remercie de vous inquiéter, mais ma fille va très bien et comme je vous l'ai dit, nous n'avons pas le temps !

Papa claque la porte et reste debout. Immobile pendant plusieurs secondes, sa tête se courbe légèrement vers l'avant. Mon père a créé un mur entre les rumeurs et nous. Par moment, maintenir cette barrière lui demande plus d'énergie. Depuis la découverte de l'or, j'attends LA discussion, celle où il me posera des questions sur mes visions, des questions auxquelles je n'ai pas de réponses. Mais cette discussion ne vient pas. Je pense qu'il a mis toutes ces superstitions dans une boîte, une boîte verrouillée à double tour dans un coin de son esprit.

Sans un mot, je file vers l'étage. Dans ma chambre, j'ouvre la fenêtre. Qui était cet étrange visiteur ? Je soulève le battant, et passe la moitié de mon buste au dehors comme j'ai l'habitude de le faire. Mon regard rencontre immédiatement le sien. En contrebas, sur sa bicyclette rouge, le jeune garçon au regard châtain me fixe comme s'il s'attendait à mon apparition. Sur ses lèvres, je peux lire le message qu'il m'envoie.

— N'y va pas.

L'instant d'après, il enfourche son VTT comme si le diable était à sa poursuite.


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now