Chapitre 32

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De nuit, les hibiscus ressemblent à des mains tendues vers le ciel. Les étoiles pointillent une toile d'encre dans laquelle j'ai l'impression de me perdre. À quel moment le cours des choses s'est-il dérobé de mon emprise? Coche garde le visage vissé vers la route. Ses mâchoires serrées durcissent ses traits. Des reflets inquiétants miroitent sur son visage. Ses cheveux sont un peu plus longs que dans mes souvenirs, mais ce faciès taillé à la hache n'a pas vraiment changé.

Nous avons laissé derrière nous une maison en feu. Des flammes, des explosions, mais surtout des morts. Depuis, il règne dans l'habitacle un silence pesant, presque poisseux. Oswald garde sa fenêtre ouverte et collecte un maximum de rafales sur son visage. En réalité, nous ne manquons ni d'air ni de vent, juste de vie et d'humanité. Notre étoile intérieure se ternit à force de côtoyer l'horreur. Aujourd'hui, l'effondrement menace et s'il se produit, du soleil de jadis naîtra un trou noir dévastateur.

Notre guide a délaissé les routes principales pour y préférer les tracés de terre non damés. Nous avons jeté nos portables, brûlé nos cartes SIM et incendié les véhicules de police. Nous voyageons avec un véhicule minier choisi par Julien. Un vieux pick-up que la technologie arriérée ne rend pas encore traçable. Une des lubies de ce bon vieux Randall qui, une fois de plus, brille de clairvoyance pour mieux éclairer notre chagrin. Le plus difficile pour moi fut d'abandonner Kiwi. Il porte une puce qui trahirait notre position. Loïs m'a assuré qu'il serait recueilli par les gardes et serait bien soigné.

Coche n'a pas dit un mot. Il « s'absente » pour effectuer ses tâches. Son visage devient dangereusement fermé et personne n'ose lui adresser la parole. Il agit comme s'il savait exactement quoi faire, ses actes sont dictés par une logique imparable venue d'on ne sait où.

Pour le trajet, nous lui avons donc laissé les rênes. Il semble

parfaitement savoir où se rendre. Peut-être s'agit-il d'un nouveau piège, mais avons-nous seulement l'ombre d'un choix ? Alors à quoi bon ? Je lance un regard vers Loïs, elle serre contre sa poitrine un sac à dos bien rempli. La manière dont elle l'agrippe en dit long sur son contenu.

Mes pensées divaguent, elles dodelinent au rythme du véhicule. Coche adopte une conduite souple, pas besoin de se faire remarquer. Les buissons jaillissent à intervalle régulier dans ce Bush australien. La nuit ramène son lot de tranquillité. Plus les kilomètres passent et plus nous parvenons à nous détendre. Je sens le sommeil poindre. L'image de John me rend le sourire. Je ferme les yeux, le sommeil me livre ses promesses. En secret, je quitte le véhicule et ose un monde meilleur, un monde vivant, un monde lumineux. Le retrouver, vite, le retrouver...

*

J'ouvre les yeux. Je suis debout dans un salon. Une odeur de cheminée parfume l'atmosphère. Au sol, un parquet lustré. Devant moi, une immense baie vitrée. Mon regard rencontre une courte terrasse, un dénivelé luxuriant et derrière, la mer. J'approche pour admirer ce paysage à couper le souffle. De part et d'autre de l'habitation, une végétation verdoyante, riche, sauvage. Soumise aux injonctions du vent, elle ondule dans une danse violente. Je suis à flanc de montagne. Dans le contrebas, une mer agitée secoue la ligne d'horizon. Un immense rocher perce la mer comme la gueule d'un monstre du crétacé figé dans le temps. Il flotte sur les lieux quelque chose de puissant, d'ancien. Une force brute, pure, primale, que la société n'a pas encore asservie.

Du bruit, je me retourne. Sur la table du salon, des pierres de jade apaisent les lieux. Au bout de la pièce, un passe-plat en bois m'indique les prémices d'une cuisine. Le bruit d'un robinet me parvient, de l'eau s'écoule. J'avance et découvre un homme de dos devant l'évier. Ses mains plongées dans le bac en inox, il lave un objet invisible à mes yeux. Large comme un pilier de rugby, sa peau mate m'évoque les teintes insulaires.

Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now