Chapitre 37

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Les kilomètres s'écoulent, le soleil décroît, je m'éloigne de la lumière du jour, mais John brille toujours en moi. Vingt- deux heures, l'aéroport de Sydney se dessine dans une ambiance désertique. J'ouvre la vitre. La terre sèche rend sa chaleur alors que mille crissements s'élèvent des taillis arides. La lumière jaune des lampadaires donne aux rues dépeuplées des allures fantomatiques. Les Australiens ont cette tendance à calquer leur rythme sur la course du soleil. La journée, l'activité humaine grouille, mais dès le soir tombé, la nature reprend ses droits. Arrivés sur le parking de l'aéroport, une faible animation nous rappelle que l'Homme existe encore. Nous longeons l'entrée principale et croisons un groupe de Chinois à l'assaut d'un car. Un peu plus loin, trois chauffeurs de taxi armés d'une clé à douille mènent la vie dure à un pneu récalcitrant. Coche se gare. La seconde suivante, Loïs défait son sac à dos. Cette fameuse sacoche qu'elle maintenait collée sur sa poitrine comme s'il s'agissait d'un nourrisson.

— Bon, j'ai besoin de votre attention quelques instants.

Les regards fondent dans sa direction alors que sa main plonge dans l'ouverture de sa besace. Ce qu'elle en ressort fait briller nos yeux, d'épaisses liasses de billets.

— Avant de partir, je suis passée par le coffre de Papa. J'ai pris quarante mille dollars.

Ma voix s'élève dans les aigus de manière incontrôlée :

— Quarante mille ?

Elle s'interrompt et me regarde.

— Oui, quarante mille. Tu es milliardaire, tu vas t'habituer, tu verras.

Elle tend une première liasse en direction d'Oswald qui s'en saisit sans hésiter avant de la fourrer dans son pantalon, accès direct vers l'entrejambe. À peine ai-je le temps d'afficher une mine dégoutée qu'elle me tend la même liasse. Autant d'argent, je ne sais quoi en faire.

— Euh... dois-je aussi essayer de les planquer ?

Loïs secoue la tête.

— Non, la limite légale autorisée est de dix mille par personne. Donc tu peux les garder sans problème sur toi.

Mes sourcils se froncent en direction d'Oswald.

— Mais alors pourquoi il...

Oz lève un doigt.

— On ne sait jamais, on n'est jamais trop prudent !

La conversation se termine par un haussement d'épaules général. Chargés de nos bagages, de nos billets d'embarquement et de notre argent liquide, nous partons à l'abordage de notre embarcation. Un dernier obstacle sépare nos espoirs d'une réalité dure comme des menottes en acier, le poste de sécurité et le contrôle des identités. À cette heure, seuls deux guichets sont ouverts et peu de passagers s'y dirigent. À gauche, un homme d'un certain âge, cheveux noirs coiffés vers l'arrière, un peu dégarni sur le devant. Quelque chose de savant émane de lui, il me rappelle quelqu'un. Ce visage humble m'évoque le professeur Charles dans mon rêve à l'université, celui-là même qui m'avait mise à la porte de son cours. De l'autre côté, sur la droite, une femme en uniforme, jolie, dont le maquillage respire la beauté artificielle. Je reconnais alors la taupe incompétente qui nous avait ennuyés toute la leçon durant, une pédagogue incapable de voir plus loin que les limites de son manuel. Coche se tourne vers moi.

— Selon toi, Syd, à gauche ou à droite ?

Ma réponse claque sans l'ombre d'une hésitation.

— À droite... évitons le flic à tout prix, il a un sixième sens et il est sévère comme une trique.

Oz, Coche et Loïs passent les premiers, sans encombre. Mon tour arrive. L'agent de sécurité aux cheveux roux comme la braise me lance un regard charmant. Je lui tends mes papiers provisoires et l'ordonnance du juge. Son front affiche immédiatement un pli soucieux, un peu comme si elle tentait de résoudre un calcul mental complexe. Mon rythme cardiaque s'accélère. Mon instinct m'aurait-il trompé ? Mes espoirs se suspendent et guettent la moindre de ses réactions. Elle revient vers moi avec un sourire éclatant.

— Dix-sept ans aujourd'hui !

Estomaquée, je ne sais que répondre. La succession d'événements m'a privée de toute notion temporelle.

Je me contente de sourire niaisement. Elle me rend mes papiers d'un geste enjoué. Ma surprise n'éveille aucun soupçon chez elle, c'était la bonne file.

— Je vous souhaite un joyeux anniversaire et un bon vol !


Le Garde RêvesWhere stories live. Discover now